Zusammen musizieren: derrière cet assemblage de mots comme la langue allemande en a le secret se cache le simple plaisir de faire de la musique ensemble, se laisser surprendre par l’autre, atteindre un tout supérieur à la somme des parties. Joie réservée à la musique de chambre? Voire! À rebours du maestro despotique, Claudio Abbado ne jurait que par cela, qu’il disait avoir retenu de ses études à Vienne. Née à Hong Kong, où elle a débuté une formation achevée à l’université du Michigan, Elim Chan se range dans cette catégorie de chefs pour qui l’amour de l’orchestre surpasse la soif de diriger.
Son éducation, tournée vers la pratique musicale en groupe, n’y est pas pour rien: «Avoir participé à des choeurs d’enfants a été déterminant pour moi, se souvient-elle. Plus tard, en étudiant le violoncelle, je souhaitais jouer dans un orchestre, faire partie de quelque chose de plus grand que moi.» L’idée de devenir cheffe est pourtant là, et depuis longtemps: «Vers huit ans, j’ai vu un concert de l’Orchestre philharmonique de Hong Kong dirigé par une femme. J’ai immédiatement voulu être… elle.» Dans la famille d’Elim Chan, où l’art est partout, les encouragements vont de soi: «Je suis la seule musicienne. Mais mon père est peintre et écoutait beaucoup de musique en travaillant. Ma famille a toujours soutenu mes projets. Être une femme cheffe n’a jamais été une question ou un problème, dès lors que c’était mon rêve.»
Une formation d’excellence
Pour réaliser celui-ci les concours constituaient une étape importante. Mais pas n’importe lesquels. «Le Concours de direction Donatella Flick m’intéressait; si vous remportez le premier prix, vous devenez chef assistant auprès du London Symphony Orchestra, et vivez de l’intérieur le fonctionnement de l’une des meilleures formations au monde.» De ce concours, et de cette victoire qui la voit succéder à François-Xavier Roth, David Afkham ou Fabien Gabel, Elim Chan retire plusieurs leçons. «La première, c’était le soir de la finale. J’étais plutôt stressée, et une violoncelliste m’a dit: “Tu n’as pas de raison d’avoir peur, nous voulons juste savoir qui tu es.” C’est un conseil que je garde dans un coin de ma tête. On cherche trop souvent à impressionner, à paraître bigger than life.» La deuxième leçon? «Avoir côtoyé Gergiev ou Bernard Haitink quand j’étais assistante au London Symphony Orchestra. Ce sont bien sûr des chefs très différents. Mais ils ont pour point commun de parler peu pendant les répétitions: la musique est plus grande que les mots, elle se suffit à elle-même.»
Montrer et jouer plutôt qu’expliquer ou disserter, une méthode qu’Elim Chan applique auprès de l’Orchestre symphonique d’Anvers, dont elle est cheffe principale depuis la saison 2019-2020. «Nous avons une nouvelle salle, ce qui constitue le meilleur outil pour ciseler le son de l’Orchestre. Grâce au fantastique compagnonnage avec Philippe Herreweghe, les musiciens connaissent Mozart, Beethoven, Schubert, Mendelssohn. Mais nous avons aussi joué les ballets de Stravinski et d’autres œuvres du répertoire russe. Sans oublier la musique chorale, puisque nous bénéficions de la présence du merveilleux Collegium Vocale Gent!» Plus jeune cheffe et première femme titulaire de ce poste, Elim Chan ne néglige pas pour autant les invitations: «J’étais artiste en résidence au Musikverein de Vienne cette saison, j’ai dirigé trois concerts là-bas. Le dernier comprenait la Cinquième de Beethoven. Moi, dirigeant cette œuvre au Musikverein: incroyable!»
La saison 2023-2024 passera par New York, Chicago, Berlin et Dresde. Mais avant cela, place au rendez-vous parisien de septembre: «Des pièces très variées autour d’un même thème, celui de la mort et de l’enfer. Dans Schéhérazade de Rimski-Korsakov, l’une de mes œuvres favorites, une femme raconte des histoires chaque jour pour échapper à la mort. Il y aura aussi Inferno de Daníel Bjarnason, où j’accompagnerai Martin Grubinger. Enfin, le galop d’Orphée aux Enfers, pour le clin d’œil. Et parce qu’Offenbach, c’est Paris!»