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Martin Grubinger : un musicien haute intensité

Publié le 18 septembre 2023 — par Clément Taillia

— Martin Grubinger - Ses derniers concerts, l'avenir de la musique classique

Nous devons aller dans les écoles, nous devons aller dans les universités, nous devons convaincre les jeunes de venir à nos concerts. Mais je pense que cela fonctionne uniquement si nous changeons notre mentalité et nos programmes, la façon dont nous présentons la musique, la façon dont nous interprétons la musique. Je pense, comme je l'ai dit, que la musique contemporaine, la musique de notre époque, devrait être plus présente dans nos programmes. Alors bien sûr, c'est beau de jouer du Beethoven, Brahms, Rimski-Korsakov, Mahler, Bruckner et Mozart bien sûr. Je suis né là-dedans, j'aime Mozart. Mais je pense qu'il est bien plus important que nous fassions de la musique contemporaine un symbole de la société d’aujourd’hui. Je vais rester connecté à la musique classique parce que j'enseigne à l'université de Salzbourg. Je forme donc de jeunes percussionnistes sur ces instruments. Mais en parallèle, je développe aussi d'autres projets pour amener les jeunes vers la musique, surtout les très jeunes, les enfants. Parce que, vous savez, quand j'étais enfant, on chantait en famille, on jouait dans la fanfare, on jouait du Led Zeppelin, les chansons des Beatles et les “protests songs” du blues. Mais aujourd’hui, les enfants s’intéressent à autre chose… Ce qui est génial ! Mais en même temps, je veux qu'ils aiment faire de la musique, sans aucune pression, sans « Il faut que tu fasses de la musique ». Sans les forcer : « Tu dois faire ça » et « Tu dois jouer du piano ». Non, ça devrait être : "Maman, papa, je veux jouer du piano parce que c'est amusant". C’est cet objectif que je veux atteindre.

Star immensément populaire dans les pays germaniques d’un instrument souvent confidentiel, le percussionniste Martin Grubinger s’apprête à mettre un terme à sa carrière de soliste. À quelques jours de son retrait des scènes, il était temps pour la Philharmonie de Paris de l’accueillir enfin, pour la création en France d’Inferno, de Daníel Bjarnason.
— Daníel Bjarnason - Percussion Concerto - Martin Grubinger

Il faut avoir regardé, les yeux grands ouverts, plusieurs concerts symphoniques pour mesurer la douceur paradoxale des percussionnistes. Dans l’aveuglement des disques, on les croit volontiers dieux forgerons de l’orchestre, lâchant les coups de tonnerre sur les climax les plus intenses; sur scène, on les voit suspendus à la baguette du chef, penchant la tête vers les timbales pour en tapoter la peau du bout de leurs doigts et en peaufiner l’ajustement. Révélation! Les percussions ne sont pas pour les matamores, désireux avant tout de faire du bruit. Elles exigent une technique incomparable, une réactivité à toute épreuve, un sens aigu des nuances.

Elles demandent surtout de la polyvalence: caisse claire, batterie, timbales, xylophone, cymbales… Si la réalité d’un répertoire encore limité et les besoins pratiques en matériel d’orchestre poussent de nombreux percussionnistes à se spécialiser, ils ont presque tous suivi un apprentissage de multi-instrumentistes. Le compositeur islandais Daníel Bjarnason s’en souvient dans son Inferno, concerto pour percussions créé en novembre dernier à Helsinki par son dédicataire, Martin Grubinger, attendu à la Philharmonie de Paris pour la première française de l’œuvre les 20 et 21 septembre prochains. «L’instrumentation est singulière, confie ce dernier. Outre les timbales, je dois jouer du txalaparta (un cousin du xylophone), du marimba et du waterphone, par lequel s’ouvre la pièce. Après un deuxième mouvement très intimiste, où je dialogue avec la harpe puis la contrebasse, le troisième mouvement, sur une mesure à 9 temps, est extrêmement intense, arythmique. Malgré tous ces contrastes, l’œuvre est traversée par une énergie de haute intensité, on s’y sent comme sur un volcan.» Contrastes et intensité: Inferno, précipité de la percussion? «Il n’y a probablement pas d’instrument plus physique. Le rythme ne se contente pas de passer par vos mains, vous le sentez dans votre estomac. Sur scène, les vibrations sont uniques.»

Une page se tourne

La scène, Martin Grubinger a pourtant annoncé, il y a quelques mois, son intention de la quitter. À tout juste 40 ans, alors qu’il donnait aux percussions une visibilité qu’elles n’avaient jamais eue auparavant, ce sera pour lui la fin des tournées, quelques jours après les deux dates prévues à la Philharmonie de Paris. «Je joue depuis 25 ans. Mon père était percussionniste, j’ai toujours été fasciné par cet instrument, et mon rêve a longtemps été de faire partie d’un grand orchestre, de jouer toutes les symphonies de Mahler, Brahms, Bruckner. C’est ensuite comme soliste que j’ai réalisé à quel point le répertoire était réduit. J’ai voulu y remédier, en favorisant un dialogue entre le classique et des musiques comme la salsa, la samba, le tango ou certaines pièces contemporaines, qui font des percussions la première voix. Dire adieu à ce pan de ma carrière juste après mes premiers pas sur une scène aussi importante que celle de la Philharmonie de Paris, et dans une œuvre comme celle de Daníel Bjarnason, c’est magnifique! J’aime l’idée de connaître simultanément un début et une fin.» Surtout quand la fin n’en est pas vraiment une: «Je vais continuer à enseigner au Mozarteum de Salzbourg, où j’ai moi-même étudié. Je travaille aussi à un programme avec Red Bull pour embarquer des jeunes, de façon très spontanée, dans toute pratique musicale. Instruments globalisés, les percussions indiquent à la musique le chemin à suivre: à bas les frontières!» Contrastes, toujours, et haute intensité, certainement: avec Martin Grubinger, les maîtres mots de la percussion ne sont jamais loin.