Il faut avoir regardé, les yeux grands ouverts, plusieurs concerts symphoniques pour mesurer la douceur paradoxale des percussionnistes. Dans l’aveuglement des disques, on les croit volontiers dieux forgerons de l’orchestre, lâchant les coups de tonnerre sur les climax les plus intenses; sur scène, on les voit suspendus à la baguette du chef, penchant la tête vers les timbales pour en tapoter la peau du bout de leurs doigts et en peaufiner l’ajustement. Révélation! Les percussions ne sont pas pour les matamores, désireux avant tout de faire du bruit. Elles exigent une technique incomparable, une réactivité à toute épreuve, un sens aigu des nuances.
Elles demandent surtout de la polyvalence: caisse claire, batterie, timbales, xylophone, cymbales… Si la réalité d’un répertoire encore limité et les besoins pratiques en matériel d’orchestre poussent de nombreux percussionnistes à se spécialiser, ils ont presque tous suivi un apprentissage de multi-instrumentistes. Le compositeur islandais Daníel Bjarnason s’en souvient dans son Inferno, concerto pour percussions créé en novembre dernier à Helsinki par son dédicataire, Martin Grubinger, attendu à la Philharmonie de Paris pour la première française de l’œuvre les 20 et 21 septembre prochains. «L’instrumentation est singulière, confie ce dernier. Outre les timbales, je dois jouer du txalaparta (un cousin du xylophone), du marimba et du waterphone, par lequel s’ouvre la pièce. Après un deuxième mouvement très intimiste, où je dialogue avec la harpe puis la contrebasse, le troisième mouvement, sur une mesure à 9 temps, est extrêmement intense, arythmique. Malgré tous ces contrastes, l’œuvre est traversée par une énergie de haute intensité, on s’y sent comme sur un volcan.» Contrastes et intensité: Inferno, précipité de la percussion? «Il n’y a probablement pas d’instrument plus physique. Le rythme ne se contente pas de passer par vos mains, vous le sentez dans votre estomac. Sur scène, les vibrations sont uniques.»
Une page se tourne
La scène, Martin Grubinger a pourtant annoncé, il y a quelques mois, son intention de la quitter. À tout juste 40 ans, alors qu’il donnait aux percussions une visibilité qu’elles n’avaient jamais eue auparavant, ce sera pour lui la fin des tournées, quelques jours après les deux dates prévues à la Philharmonie de Paris. «Je joue depuis 25 ans. Mon père était percussionniste, j’ai toujours été fasciné par cet instrument, et mon rêve a longtemps été de faire partie d’un grand orchestre, de jouer toutes les symphonies de Mahler, Brahms, Bruckner. C’est ensuite comme soliste que j’ai réalisé à quel point le répertoire était réduit. J’ai voulu y remédier, en favorisant un dialogue entre le classique et des musiques comme la salsa, la samba, le tango ou certaines pièces contemporaines, qui font des percussions la première voix. Dire adieu à ce pan de ma carrière juste après mes premiers pas sur une scène aussi importante que celle de la Philharmonie de Paris, et dans une œuvre comme celle de Daníel Bjarnason, c’est magnifique! J’aime l’idée de connaître simultanément un début et une fin.» Surtout quand la fin n’en est pas vraiment une: «Je vais continuer à enseigner au Mozarteum de Salzbourg, où j’ai moi-même étudié. Je travaille aussi à un programme avec Red Bull pour embarquer des jeunes, de façon très spontanée, dans toute pratique musicale. Instruments globalisés, les percussions indiquent à la musique le chemin à suivre: à bas les frontières!» Contrastes, toujours, et haute intensité, certainement: avec Martin Grubinger, les maîtres mots de la percussion ne sont jamais loin.