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Le SFJazz collective ou la pulsation universelle du jazz

Publié le 30 mai 2022 — par Vincent Bessières

— SFJAZZ Collective - © Loop Productions

Passé maître dans l’art de revisiter le grand répertoire, le SFJAZZ Collective revient avec de nouvelles compositions inspirées par les problèmes sociaux et écologiques du moment.

Basée à San Francisco, SFJazz est, avec Jazz at Lincoln Center (JALC) à New York, l’une des deux grandes institutions pérennes dédiées au jazz aux États-Unis à s’être dotée d’un orchestre, dont l’une des missions est de faire rayonner la culture du jazz dans le monde entier, en célébrant, notamment, l’œuvre et l’esprit de ses fondateurs. Si Wynton Marsalis, directeur artistique de JALC a fait le choix de constituer un big band sur le modèle de Duke Ellington, au nord de la Californie, c’est un format intermédiaire qui a été privilégié depuis l’origine, sous la forme d’un orchestre de huit musiciens dont l’instrumentation variée permet d’offrir à ses membres la possibilité de développer leurs ambitions en matière d’arrangements et d’écriture sans restreindre pour autant l’importance de la place qui leur est accordée en tant que soliste. 

Dès sa fondation en 2004, la vocation de cette formation a été double sur le plan du répertoire : d’une part, faire vivre de manière dynamique l’héritage des grandes figures de l’histoire selon cette logique propre au jazz qui est celle de l’arrangement, consistant pour un musicien à choisir des thèmes écrits par un tiers et à les remodeler à l’aune de sa propre personnalité musicale sous la forme de nouvelles orchestrations ; d’autre part, permettre aux membres de l’orchestre d’élaborer des compositions pour une formation à l’instrumentation plus étoffée que celle qu’ils ont l’habitude d’avoir à leur disposition au sein de leur propre formation. Renouvelés régulièrement — plus aucun musicien présent à la fondation du collectif n’en fait désormais partie —, tous les titulaires du SFJazz Collective sont, en effet, des musiciens de premier plan qui mènent chacun en parallèle leur propre carrière et ne se retrouvent que ponctuellement, à la faveur de résidences de création, d’enregistrement ou de tournées internationales comme celle qui les amène pour deux soirs à la Philharmonie. 

— SFJAZZ Collective - So What (Miles Davis) © SFJAZZ

 

Ces derniers temps, la composition du collectif et son fonctionnement ont connu deux évolutions notables : d’une part, l’intégration de deux vocalistes, dans un ensemble jusqu’alors exclusivement instrumental ; d’autre part, l’attribution de la fonction de directeur musical à l’un des membres de l’ensemble après près de vingt ans de fonctionnement collégial : elle échoit désormais à Chris Potter, qui a rejoint le SFJazz Collective à l’automne 2021. Ce dernier se compose dorénavant de neuf musiciens appartenant à l’élite du jazz mondial. Fort d’une carrière qui l’a vu collaborer avec des musiciens tels que Dave Holland, Jim Hall, Paul Motian ou Pat Metheny, Chris Potter (né en 1971) est ainsi l’un des grands ténors de notre temps. Marqué par l’exemple de Michael Brecker, il impressionne tant par sa virtuosité instrumentale — au saxophone ténor, il ajoute le soprano et l’alto, la flûte et la clarinette basse — que par la sophistication de sa pensée harmonique et rythmique, et manifeste une dimension pop dans son esthétique qui l’a amené à tourner avec Steely Dan et s’est fait jour en particulier dans ses récentes aventures électriques. 

Originaire de Porto Rico, le second saxophoniste, David Sánchez (1968), incorpore depuis ses débuts la richesse des rythmes de son île natale à une expression contemporaine dérivée du be-bop. Natif de l’île de Trinidad, le trompettiste Etienne Charles (1983) s’est lui aussi penché sur la manière dont ses racines caribéennes, et notamment les musiques de carnaval, pouvaient alimenter son inspiration. Quant au pianiste Edward Simon (1969), natif du Venezuela, il mène de front depuis plusieurs années des projets qui n’éclipsent jamais sa familiarité avec les traditions musicales latino-américaines. Loin de les enfermer dans une forme de spécialisation restrictive, les héritages culturels propres à chacun de ces musiciens sont une source d’invention et d’expression personnelle qu’ils fondent dans le creuset universaliste du jazz, s’inspirant de l’exemple de Dizzy Gillespie qui fut l’un des artisans essentiels des rapprochements entre les diverses cultures musicales issues de la diaspora africaine en Amérique.

 

 

— Le SFJAZZ Collective interprète "The Girl From Ipanema" de Antônio Carlos Jobim ©  SFJAZZ

 

Nouveau titulaire du SFJazz Collective, Kendrick Scott (1980) à la carrière très éclectique, est l’un des batteurs les plus brillants de sa génération, passé notamment par les groupes de Herbie Hancock, Terence Blanchard ou Charles Lloyd. De même, le contrebassiste Matt Brewer (1983), l’un des plus demandés depuis vingt ans, a abondamment joué avec Steve Coleman, Gonzalo Rubalcaba, Tigran Hamasyan ou Ambrose Akinmusire, entre autres. Natif de Baltimore, le vibraphoniste Warren Wolf (1979), également batteur et pianiste, rappelle combien le jazz s’est doublé, pour tous ces musiciens, d’un apprentissage instrumental d’excellence. Nouvellement arrivée dans les rangs de l’orchestre elle aussi, la chanteuse Gretchen Parlato (1976) est l’une des voix les plus singulières et les plus estimées du jazz contemporain, encouragée à ses débuts par Wayne Shorter. Très marquée par la musique brésilienne, proche de Lionel Loueke, Mark Guiliana (avec qui elle partage sa vie) ou Esperanza Spalding, elle séduit par la délicatesse de son chant, sa dimension percussive, la poésie de son univers et ses talents d’arrangeuse. Le second vocaliste, en revanche, est un peu l’exception à la règle du collectif : peu connu en Europe, Martin Luther McCoy (1973) est un produit de la fertile scène neo-soul de la Bay Area. Si son nom n’est pas très établi dans le circuit du jazz, c’est que le chanteur (et guitariste) a surtout été actif dans d’autres sphères musicales, notamment au sein du groupe de hip-hop The Roots. Il se révèle particulièrement inspiré dans un registre folk-soul.

À la différence du JALC Orchestra qui s’attache à remonter aux sources du jazz et à célébrer en particulier les grandes heures du swing, le SFJazz Collective a principalement revisité, au cours de son existence, le répertoire du jazz moderne, celui qui, élargissant le champ du be-bop, est au fondement d’une large partie de l’expression contemporaine, de Miles Davis à Chick Corea, de Joe Henderson à Wayne Shorter. Il s’est également aventuré à célébrer de grandes figures attachées à d’autres genres, comme Stevie Wonder, Michael Jackson, Sly Stone ou Marvin Gaye. Pour l’heure, cependant, le SFJazz Collective entend se présenter avant tout comme un foyer de composition : il présente ainsi à la Philharmonie « New Works Reflecting the Moments », autrement dit une série de pièces récemment écrites ou d’arrangements nouveaux qui reflète les enjeux politiques, sociaux et écologiques auquel notre siècle, si agité, doit faire face.

 

— SFJAZZ Collective - Mutuality (Chris Potter) ©  SFJAZZ
Vincent Bessières

Vincent Bessières est actif dans le domaine du jazz depuis une vingtaine d’années comme journaliste en presse et radio (Jazzman, So Jazz, Jazz News, L’Express, France Musique...), commissaire d’exposition ("We Want Miles" en 2009, "Django Reinhardt, Swing de Paris" en 2013, "Jazz & Love" en 2019), producteur de disques pour le label jazz&people et directeur artistique.