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Les sculptures de Sammy Baloji à la Cité de la musique

Publié le 04 juin 2025

— Sammy Baloji – Johari Brass Band (Cité de la musique)

Le nouveau parcours du Musée de la musique accorde désormais une large place à la création contemporaine. En résidence au Musée durant la saison 2023-2024, l’artiste plasticien Sammy Baloji s’est intéressé à la riche collection de sanzas africaines. Sa monumentale installation Johari – Brass Band accueille le visiteur dès l’entrée de la Cité de la musique. 
— Entretien | Les sculptures de Sammy Baloji à la Cité de la musique

Je m’appelle Sammy Baloji,  je suis artiste-plasticien. 

Au départ, je m’intéresse à la matière qui est le cuivre mais aussi toutes les matières premières qui sont exploitées au Congo depuis l’installation coloniale, à la fin du XIXe siècle. C’est à partir de cette matière-là que j’arrive  à engranger ou à mêler des histoires qui peuvent avoir comme point de départ le continent  africain ou le Congo, qui est le pays d’où je viens, avec toute la question de l’économie  mondiale, du capitalisme, ainsi de suite. En tant qu’artiste, je travaille sur les parties omises ou complètement effacées ou oubliées de l’histoire de mon pays, et ce, par rapport à toute l’histoire coloniale. Ce travail que je fais est une réflexion sur comment remplir, dans la mesure du possible, à mon échelle, les éléments vides qui  sont issus de toute la propagande coloniale. 

Je crois que le fait que Johari Brass Band se retrouve présenté ici au Musée, cela part aussi de la volonté du Musée de pouvoir revoir toute sa muséologie, revoir tout le discours qui va avec et notamment  tout ce projet de réaménagement d’une nouvelle exposition permanente qui intègre  de manière assez critique et inclusive toute la pratique musicale ou toutes les cultures musicales du monde de manière équitable, de manière égale dans cette production. 

J’ai été invité, dès qu’ils ont commencé à  envisager ce programme de réaménagement, à proposer un œuvre dans les collections  permanentes qui vont être exposées. Je voulais travailler avec l’institution,  voir comment elle met en place cette nouvelle exposition et regarder le rapport aux  objets, notamment des objets venant d’Afrique, car l’invitation venait du fait que le Musée venait d’acquérir 600 instruments à lamelles qui appartenaient  à un couple de collectionneurs belges. L’idée était que j’interroge à  la fois la collecte, l’utilisation et le discours derrière cette collecte et la réorientation de l’usage de ces instruments. 

Ce que j’ai commencé à faire c’est observer tous les services ou toutes les professions au sein du  Musée qui réceptionnent ces œuvres, toutes ces disciplines qui précèdent  la mise sous vitrine des œuvres et qui vont pouvoir poser un discours sur l’objet. Au final l’œuvre que je propose c’est une abstraction : je reprends l’armature ou la forme de ce mobilier, de ces étagères qui servent d’espace de stockage pour y poser une réplique en bronze d’un des instruments que j’ai choisi et qui vient probablement de la région du Kasaï. J’ai fait une réplique de cette œuvre-là en bronze en optant le positionnement de l’instrument dans la réserve qui n’est pas le positionnement  de l’instrument quand il est joué. 

Finalement ces instruments, une fois dans  le musée, ne seront plus joués là où, dans les sociétés qui les ont conçus, ils contribuent non seulement à célébrer la mémoire mais aussi à la transmettre par la musique, par des  poésies, par toute une pratique sociale. J’ai fait une œuvre qui reprend le  positionnement de l’instrument dans la réserve un peu pour faire prévaloir le silence qui est proposé à l’instrument.

Avec Johari – Brass Band, Sammy Baloji interroge la place de la musique dans l’histoire de l’esclavage et de l’entreprise coloniale. Deux instruments monumentaux, un sousaphone et un cor d’harmonie, dialoguent avec l’histoire des brass bands de La Nouvelle-Orléans et avec celle des fanfares du Congo, témoignant du rôle fondamental de la musique dans les dynamiques de résistance et de solidarité face à l’ordre colonial, des deux côtés de l’Atlantique.

En écho à la collection de sanzas conservée à la Cité de la musique, l’artiste a également conçu pour le Musée une sculpture qui place au cœur des salles d’exposition la réserve, espace généralement invisible des visiteurs, mais pourtant central dans le fonctionnement de l’institution. Son monument, prenant la forme d’une abstraction de mobilier de stockage, interroge le dispositif muséal et le traitement des objets, souvent réduits au silence, soumis à des protocoles de conservation, de stockage et de présentation allant à l’encontre de leur usage initial.