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Week-end Mahler Perspectives

Publié le 17 juin 2024

— Maher Perspectives - © Harry Gruyaert

D’un concert sur instruments d’époque à une nouvelle lecture du Chant de la Terre : une mise en lumière de la puissance d’évocation infinie de l’œuvre de Gustav Mahler.

Le week-end Mahler Perspectives jette des ponts entre hier et aujourd’hui pour donner un aperçu de la puissance d’évocation de la musique mahlérienne. Régulièrement incompris de son vivant, parfois violemment critiqué, son œuvre a dû attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour commencer d’être apprécié à sa juste valeur. «Mon temps viendra», disait Mahler.

Du côté de l’hier, le projet de Philipp von Steinaecker et du Mahler Academy Orchestra, qui cherche à retrouver les sonorités instrumentales originelles des symphonies du maître. Steinacker et son équipe croisent les recherches en musicologie, en histoire de la musique et en organologie afin de renouer avec des modes de jeu et de réunir des instruments les plus proches possible de ceux des musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Vienne placés sous la direction de Mahler. Après une introduction de Christian Merlin, le Mahler Academy Orchestra interprète la Cinquième Symphonie, créée en 1904 à Cologne, et son enivrant Adagietto.

— Originalklang Project – Mahler Academy Orchestra

C’est à faire résonner Mahler aujourd’hui que s’attachent le concert de l’Ensemble intercontemporain comme la réécriture du Chant de la Terre par le tandem Mienniel-Cadiot. Menés par leur nouveau directeur musical Pierre Bleuse, les musiciens de l’EIC viennent à Mahler par le prisme de Michael Jarrell, dont ils interprètent (en création) le concerto Reflections II et l’arrangement pour soprano et ensemble de la Symphonie n°4 de Mahler. Une rencontre avec l’«artisan» Jarrell (comme il se définit) précède le concert. Quant à Olivier Cadiot et Joce Mienniel, ils font de l’inclassable Chant de la Terre, entre symphonie et lieder avec orchestre, une œuvre plus inclassable encore. Cadiot réécrit les poèmes chinois mis en musique par Mahler et y ajoute des références aux psaumes ou à Mallarmé. Mienniel «boucle» la musique de Mahler pour créer des effets d’«arrêt sur image» et en redistribue les éléments à des musiciens occidentaux (de musique savante ou électronique), mais aussi à des musiciens traditionnels chinois.

— Le Chant de la Terre | Gustav Mahler - Joce Mienniel - Olivier Cadiot

Olivier Cadiot : Quand je reçois la commande de Francis Maréchal, qui dirige Royaumont, et qu'il me propose de travailler avec Joce Mienniel.

Et donc, de devenir une sorte de librettiste, de nouveau librettiste, j'ai bien compris qu'il ne s'agissait pas de refaire un Chant de la Terre, mais de faire une sorte de, je ne sais pas quel mot employer, une sorte de dérive ou de dépli.

Donc quand Francis Maréchal vient me voir, il ne sait pas ce que nous allons faire.

J'ouvre le célèbre livre de Henry-Louis de La Grange, le grand spécialiste de Mahler, qui déplie les différentes étapes du texte de Mahler qui vient du chinois, qui passe par le français, par l'allemand, etc.

Il me dit qu'est-ce que tu vas faire avec ça ?

Et au lieu de retraduire et de proposer une traduction nouvelle, j'ai complètement changé d'axe et j'ai proposé un rapport au texte complètement différent.

Ce que nous avons fait, c'est plus quelque chose que nous offrons au compositeur d'une manière modeste, plutôt qu'une poursuite qui s'appellerait Chant de la Terre II.

Joce Mienniel : Puisqu'en fait on parle de traductions de poèmes chinois des VIIᵉ et VIIIᵉ siècles.

J'ai voulu introduire des musiciens traditionnels chinois dans mon orchestration.

Je me suis aussi entouré d'un trio de musiciens de jazz et d'un quatuor à cordes classique.

Olivier sera là évidemment pour réciter son texte.

Une chanteuse sera aussi là avec nous.

On a eu l'idée aussi d'associer cinquante enfants à cette orchestration.

Olivier Cadiot : Finalement, il n'y a pas grand chose de l'original de la partition de Mahler.

Je me suis servi de sources qui n'ont rien à voir.

C'est-à-dire qu'au lieu de prendre des poèmes chinois du VIIᵉ siècle, j'ai été chercher dans mes traductions des Psaumes de la Bible que j'ai faites en 2001.

Je me suis servi aussi beaucoup d'un texte absolument merveilleux de Mallarmé qui s'appelle Le Tombeau d'Anatole, puisque, on le sait, Mahler au moment d'écrire le Chant de la Terre, c'est un moment funèbre de sa vie : lui-même est malade, et il vient de perdre sa fille.

Donc, tout à coup, le Tombeau d'Anatole, qui est la mort, un poème préparatif, un poème pour la mort du fils de Mallarmé.

J'ai fait une sorte de mixage comme ça, extrêmement lyrique.

J'ai commencé tout mon travail par la poésie, par tout un travail de montage, etc. dans les années 80.

C'est une expérience merveilleuse pour moi, parce-que là, je renoue avec l'expérience du montage poétique et avec des sources diverses.

Joce Mienniel :  J'ai vraiment imaginé ce programme comme quelque chose très proche du cut up. C'est-à-dire de prendre des mesures, des fois des temps de la partition originale de Mahler, transformés, mis en boucle ou ralentis, divisés par deux ou par trois des fois pour transformer vraiment même la matière musicale.

Et c'est aussi de cette manière-là que je l'inclus dans ce projet musicalement.

C'est-à-dire qu'à un moment donné, pour lui laisser la place de dire son texte, je gèle le paysage musical derrière.

C'est-à-dire je prends un endroit de Mahler, je le gêle complètement, je le fige, je le mets en boucle, le ralentis.

Et d'un seul coup, il y a la place des mots.

Pour moi, le matériau de Mahler est d'une très grande force.

En particulier, le dernier mouvement, l'Adieu, qui à la fin, en fait, se déplie comme ça d'une mesure à quatre, puis huit, puis seize, alors que c'est la même mélodie et l'accompagnement se déplie comme ça.

Cette force-là, je l'adore.

J'ai toujours tendance à dire que je compose de la slow music.

C'est cette couleur-là que j'adore chez Mahler en particulier.

Plus on ralentit Mahler, plus c'est beau, d'après moi.

Crédits 

Entretien : David Christoffel

Réalisation : Laurent Sarazin - Imaginé Productions

Copyright : Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2024

Enfin, le London Symphony Orchestra, placé sous la direction de Sir Antonio Pappano, s’attache à la Première Symphonie «Titan », aux côtés du Deuxième Concerto pour piano de Chopin interprété par Yuja Wang.