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Penthésilée, une histoire d’Amazones

Publié le 27 octobre 2020 — par Angèle Leroy

© La Monnaie / Karl & Monika Foster

À l’occasion de l'exécution en concert de l’opéra Penthesilea de Pascal Dusapin, petit tour d’horizon des avatars musicaux de cette guerrière de la mythologie grecque.

— Pascal Dusapin - Penthesilea - extraits

 

En 1941, à l’heure de créer son héroïne Wonder Woman, William Moulton Marston choisit d’en faire une princesse amazone, afin de proposer aux jeunes filles un modèle de « féminité forte, libre et courageuse ». Un exemple parmi d’autres qui montre que le mythe antique des Amazones a fortement pénétré la culture populaire, accompagné d’ailleurs de représentations relativement saugrenues (comme cette idée, infondée à la fois historiquement et physiquement, qu’elles se couperaient le sein droit pour pouvoir tirer à l’arc) et de récits discordants – par exemple sur leur mode de vie (mettent-elles vraiment à mort leurs rejetons mâles, les estropient-elles ou se contentent-elles simplement de les rendre à leurs géniteurs ?).

Quoiqu’il en soit, ce peuple de femmes guerrières, refusant la société des hommes, inspire à la fois fascination et répulsion, d’abord aux Grecs, puis à l’Europe de la fin du Moyen Âge et surtout de l’époque moderne. Avant que le XVIIIe siècle ne les mette en scène à plusieurs reprises, Shakespeare y fait notamment référence dans Le Songe d’une nuit d’été, avec le personnage de la reine Hippolyte, qui doit épouser Thésée. Parfois présentée comme la sœur de cette dernière, Penthésilée, elle, s’illustre lors de la guerre de Troie – elle apparaît d’abord dans le « cycle troyen », puis chez Virgile, et plus tard encore chez Boccace… mais c’est Heinrich von Kleist qui lui fera connaître la célébrité.

 

 

La pièce, qui date de 1808, ne fut créée qu’en 1876, quelque soixante-cinq ans après la mort de Kleist. En cause, le fait qu’elle dépeint avec brutalité le meurtre et la mise en pièces d’Achille, dont elle est amoureuse, par Penthésilée, rendue folle par le conflit entre la loi qui lui interdit de choisir son partenaire et son amour pour le héros grec (il s’agit d’un renversement du mythe où c’est Achille qui tue Penthésilée), mais aussi certaines conventions de récit difficiles à mettre en scène.

Elle génère en tous cas, dès sa création, une belle descendance chez les musiciens – toutes les œuvres musicales qui évoquent Penthésilée font référence à la pièce du poète allemand, hormis la Penthesilea de Szymanowski, composée en 1908. Ainsi, dès 1879, Schott publie une ouverture pour orchestre du compositeur hongrois Goldmark, qui semble, en comparaison avec son modèle, fort placide.

— Karl Goldmark(1830-1915) - Penthesilea,Op.31 (Overture), 1876.

 

D’autres compositeurs lui emboîtent le pas, privilégiant plutôt la musique orchestrale – cela évite les difficultés de mise en voix et en scène de la pièce. Coexistent par exemple dans les années 1880 le prélude symphonique de Felix Draeseke et le poème symphonique de Hugo Wolf. Las ! La malédiction scénique qui touchait la pièce de Kleist atteint aussi la Penthesilea de Wolf, littéralement sabotée par Hans Richter lors de sa première lecture – elle ne sera jamais rejouée du vivant du compositeur.

— Hugo Wolf : Penthesilea, III. Kämpfe, Leidenschaften, Wahnsinn, Vernichtung

 

Toujours dans le genre de la musique orchestrale, la pièce suscite également – c’est assez logique – des musiques de scène, comme le Preludio para Penthesilea composé en 1977 par le Cubain Carlos Fariñas pour le théâtre de Francfort en vue des commémorations du 200e anniversaire de la naissance de Kleist, prélude où la reine des Amazones se trouve accompagnée de tout un groupe de percussions cubaines.

— Carlos Fariñas: Preludio para Penthesilea (1977)

Et l’opéra, alors ? Dusapin, dont la Penthesilea a été donnée en création à Bruxelles en 2015, n’est pas le premier à s’attaquer au mythe revu par Kleist. Le Suisse Othmar Schoeck donne ainsi en 1927 un opéra en un acte sur le thème, à peu près en même temps, d’ailleurs, que le Tchèque Vincenc Maixner et l’Allemand Rudo Ritter.

— O.Schoeck, Penthesilea, Op. 39: Scene 24: Trauermarsch der Amazonen mit der Leiche des (Achilles)

 

L’histoire semble particulièrement résonner chez les compositeurs depuis le début du XXIe siècle. « Penthésilée, c’est moi ! », s’écrie Dusapin, à la Flaubert. Le récit de l’amour maudit de Penthésilée et Achille inspire également René Koering (avec les Scènes de chasse de 2008), mais aussi Hauke Behrend, avec Mauerschau, créé en 2016 au Festival d’Opéra de Munich, qui réfléchit précisément sur la question de la représentation (Mauerschau, « le point de vue du mur », renvoie à la teichoscopie, procédé narratif utilisé par Kleist pour narrer les scènes de bataille en temps réel). Penthésilée n’en a pas fini de se heurter à son destin dans le sang et les larmes…