Les membres du Quatuor Ébène évoquent la singularité de ce corpus qui suscita l’incompréhension de ses premiers auditeurs et interprètes.
QUATUOR ÉBÈNE : la modernité beethovénienne
Publié le 18 septembre 2020 — par Philharmonie de Paris
La modernité a été présente depuis les opus 18, bien sûr. Ne serait-ce que le mouvement lent de l'opus 18 n° 1, extrêmement romantique, en fait, bien avant l'heure. "Roméo et Juliette" s'est inspiré de ça. On a des dialogues langoureux, on a une tristesse qui n'appartient qu'au langage romantique. C'est très chanté, c'est très grave en même temps. Et on a déjà de l'expression personnelle très, très, très vive, très importante. Beaucoup de subjectivité, en fait, par rapport à ce qui traînait autour, à cette époque-là. L'écriture pour violoncelle dans ses quatuors évolue beaucoup entre les opus 18 et les derniers. Mais on sent dès le départ quand même, cette notion de contrepoids pour le premier violon et aussi d'incarnation d'une partie de dialogue. La conversation à quatre est vraiment… Beethov poursuit très logiquement ce que Haydn a posé, mais avec sa personnalité à lui. Ça donne parfois des échanges où on se coupe la parole, où on finit des phrases de manière très abrupte, ou alors, la ponctuation, c'est un dialogue très théâtral et très sculpté au couteau. Ce n’est pas fondu, il n'y a pas de tuilage ou d'effet comme ça de... de consensus mou, si je puis dire. Au contraire, c'est très articulé toujours. Le violoncelle se retrouve spécialement articulé, du fait de son registre, avec des motifs souvent courts ou des basses simples devant donner de la fondation à tout ça, mais ça, c'est normal. Mais après, de l'opus 18 où le violoncelle est quand même assez souvent encore une basse, pas continue, mais une basse de quatuor... À la fin, c'est carrément un instrument monodique qui part dans l'aigu. Il y a des choses redoutablement difficiles dans l'opus 127 ou même celui-là, le 130. Le violoncelle est traité comme un instrument concertant. Et ça, c'est assez amusant... Quand on pense à Brahms, 80 ans plus tard, qui entend le concerto de Dvorak et dit : "Si j'avais su qu'on pouvait faire tout ça avec un violoncelle, j’aurais écrit un concerto pour violoncelle." C'est incroyable. Il n’avait pas ouvert un quatuor de Beethov, certainement. Ou il n’a pas imprimé cette potentialité. Donc, c'est assez drôle. L'histoire du violoncelle n’a pas attendu Beethoven pour se développer, bien sûr. Il y a eu Boccherini, notamment, avant. Mais c'est... Je pense, avec certains exemples chez Haydn, c’est vraiment du très exigeant pour le violoncelle. L'idée de la modernité dans le registre aussi se retrouve, par exemple, dans le final de l'opus 132, Raphaël se retrouve dans l'aigu, et c'est l'alto qui joue la basse. C'est vrai, on a l'image d'un quatuor à cordes de l'aigu au grave, du premier violon au violoncelle. Et pour que ça sonne, on croit toujours que le violoncelle doit rester dans son registre de basse et le violon, d'aigu. Mais finalement, parfois, il s'amuse même, comme s'il avait écrit toute une octave au-dessus, à jouer longtemps dans le registre aigu. Pour qu'ensuite, quand on élargit l’ambitus, ça crée un effet de plongée dans la terre, dans le sol. Un peu, encore une fois, à l'image des DJ maintenant, qui font écouter des sons aigus pendant un gros moment et puis, on attend toujours le moment où la basse va arriver. Beethoven a beaucoup joué avec les registres aussi comme ça. Il nous donne faim d'entendre des choses et il répète. On attend, on attend que la chose se passe et il prend plaisir très souvent à allonger le temps et enfin, ça arrive. Il joue un peu avec les nerfs aussi, avec la patience, avec le temps.