À l’occasion du cycle Bach, une vie en musique, Paul Agnew, codirecteur musical des Arts Florissants, nous invite à partager le quotidien du cantor de Leipzig, et à découvrir l’homme derrière le musicien de génie.
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Le 27 juin, Bach envoie sa lettre de démission : fini Mühlhausen, il part… pour Weimar ! Weimar est une petite ville, mais avec des atouts non négligeables : c’est la capitale du duché de Saxe-Weimar où réside le duc, donc le pouvoir et l’argent. Or Bach n’est pas insensible à cet argument. Il n’accepte jamais de nouveau contrat sans obtenir au passage de bien meilleures conditions financières. De toute évidence, il s’y connaît en négociation, et en acceptant ce nouveau poste il double quasiment son salaire !
Alors Bach, musicien carriériste et sûr de lui, ou jeune homme pragmatique ? Un peu des deux : il est très conscient de son talent musical, mais sur le plan personnel il a aussi de nombreuses responsabilités à assumer. Le 17 octobre 1707, il s’est marié avec une cousine éloignée : Maria Barbara Bach. À présent, il a une famille à nourrir et doit donc s’assurer une bonne situation professionnelle.
C’est précisément ce qu’il trouve enfin à Weimar : un bon salaire et un poste intéressant. D’abord, parce que les musiciens y sont d’un bien meilleur niveau – ce qui améliore considérablement ses relations de travail, par rapport à ses précédents postes. Ensuite, le point le plus positif concerne la personnalité de ses employeurs. Depuis 1707, le duché de Saxe-Weimar est dirigé par Wilhelm Ernst qui a deux neveux, Ernst August et Johann Ernst. Tous deux sont de grands mélomanes. Mais si les prénoms des deux ducs se ressemblent, leurs personnalités, elles, sont très différentes. Wilhelm Ernst (l’oncle) est un homme pieux qui apporte une attention toute particulière à la musique sacrée. Tandis que son neveu, Johann Ernst, a fait ses études à Utrecht d’où il revient avec de nombreuses partitions… de musique profane. En ayant ces deux patrons, Bach est donc à la fois encouragé à écrire pour l’Église et pour la cour. Par rapport à ce qu’il a vécu auparavant, c’est une évolution professionnelle particulièrement épanouissante ! Voilà qu’il peut enfin allier dans sa musique ses différents centres d’intérêt…
Dès son arrivée à Weimar, Bach se met à travailler comme un fou. On l’a embauché comme organiste : il commence donc à écrire des pièces pour orgue. Et il s’en donne à cœur joie… Il y a quelque chose de très italien dans ce Concerto pour orgue BWV 596 et pour cause ! À Weimar, Bach a accès à une très riche bibliothèque musicale. C’est là qu’il découvre la musique italienne et qu’il se passionne littéralement pour des compositeurs tels que Corelli, Marcello et, bien sûr, Antonio Vivaldi. Rien d’étonnant, dans ce premier quart du XVIIIe siècle, à être fasciné par l’Italie : c’est le centre culturel de l’Europe. Mais dans l’Allemagne du nord, cette influence joue un rôle d’autant plus essentiel, que pendant plus d’une génération tout s’est pour ainsi dire arrêté. De 1618 à 1648, la guerre de Trente Ans a littéralement dévasté la région, dont elle a stoppé net le développement culturel. Alors, quand la paix revient enfin et qu’il s’agit de reconstruire, pour trouver l’inspiration, on regarde tout naturellement vers Venise, Rome, Florence… mais aussi vers Versailles !
D’ailleurs, pas besoin d’aller très loin pour se mettre à jour sur les dernières tendances : Bach n’a qu’à se rendre à Seltz, où on joue exclusivement de la musique française. Et quand en 1714 il écrit sa Cantate BWV 61 pour le premier dimanche de l’Avent, c’est par une ouverture à la française qu’il choisit de la faire commencer… en s’inspirant directement d’une ouverture écrite par Lully pour Louis XIV ! C’est un exercice de style prodigieux, doublé d’un symbole audacieux : à l’entrée du Roi-Soleil, Bach oppose une annonce toute autre, celle de la venue du roi des cieux, Jésus…
En 1714, Bach se lance dans ce qui va devenir l’une des entreprises les plus importantes de sa vie : écrire des cantates pour toute l’année liturgique. Jusqu’en 1717, il va se tenir à un rythme effréné : une cantate par mois ! Seules 18 nous sont restées de cette période, dont la célèbre BWV 182.
Bach se plait à Weimar. Mais il subit une légère déception quand, en 1716, le poste de Kapellmeister ne lui est pas proposé à la mort du titulaire. Il va donc voir ailleurs ce qu’on lui propose, et cet ailleurs a pour nom Köthen. Seulement voilà : cette fois-ci, Bach n’est pas très prudent. Il dit oui à Köthen sans avoir encore reçu la permission de quitter Weimar, ce qui lui vaut quelques petits soucis. Le 6 novembre 1717, il est arrêté et mis en détention pour comportement obstiné et pour avoir forcé la question de son départ. Ce n’est que le 2 décembre qu’il est enfin libéré – et viré, par la même occasion. Une drôle de démission !
Le voilà donc parti pour une nouvelle aventure, à Köthen, où l’attendent de grandes joies et de terribles peines. Mais ça, c’est une autre histoire !