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Souvenons-nous :
L’année 1717 s’est terminée d’une drôle de manière pour Johann Sebastian Bach : en prison… Bach, en prison ? Oui, et pour un crime de lèse-majesté : « Entêtement à vouloir obtenir de force sa démission ! » Après 4 semaines sous les verrous, Bach est relâché. Il peut enfin quitter son ancien poste à Weimar et partir vers son nouvel emploi, à Köthen.
Changer de travail, ce n’est pas de tout repos – et cela est particulièrement vrai pour Bach. Cette fois-ci, ce n’est plus seul qu’il déménage, mais avec sa femme Maria Barbara et leurs quatre enfants.
Carl Philipp Emanuel, le deuxième fils de Johann Sebastian, a trois ans lors de ce départ. Dans ses mémoires, il écrira que les six années passées à Köthen auront sans doute été les plus heureuses de la vie de son père. Les plus heureuses, vraiment ? Alors que Bach n’écrira quasiment que de la musique instrumentale et profane pendant cette période ? Un Bach heureux loin de la musique sacrée, est-ce possible ?
Johann Sebastian est un homme profondément pieux, LE compositeur de musique sacrée par excellence, qui écrira des cantates pour tout le calendrier liturgique. On pourrait douter que cette situation à Köthen lui convienne… Et pourtant : Bach est heureux !
La cour de Köthen est de religion calviniste. Bien plus austères que dans l’Église luthérienne, les offices religieux calvinistes ne comportent quasiment pas de musique. Bach aura donc très peu à composer pour l’église… alors, il travaillera pour la cour. Il descend de sa tribune d’orgue pour jouer au salon.
À 32 ans, Johann Sebastian Bach est un musicien accompli. Pourtant, il n’a jusqu’à présent occupé que des postes intermédiaires dans la hiérarchie des musiciens. À Köthen, il accède enfin à la plus haute fonction : Kapellmeister.
Celui qui lui offre ce poste prestigieux n’est pas n’importe qui : c’est un prince musicien. En 1717, Léopold d'Anhalt-Köthen est un jeune homme de 23 ans passionné de musique – il joue d’ailleurs lui-même du violon et a une belle voix de basse. Mais surtout, il est décidé à faire de sa petite cour un centre musical d’importance : il vient d’embaucher la totalité des musiciens de la cour de Berlin, que le roi de Prusse Friedrich Wilhelm, peu mélomane, a renvoyés.
Pour la première fois de sa vie, Bach va donc pouvoir travailler avec des musiciens à sa hauteur – fini les bras cassés dont il devait se contenter jusqu’à présent ! Avec cette quinzaine de virtuoses, qui peuvent aussi être doublés de musiciens complémentaires selon les besoins, de nouvelles perspectives s’ouvrent à lui : le voilà enfin face à un ensemble important, capable d’interpréter des partitions complexes.
C’est ainsi que, durant les six années qu’il passe à Köthen, Bach va composer la plus grande partie de la musique instrumentale que nous lui connaissons. Dont les fameux concertos brandebourgeois…
Ces concertos pour instruments solistes sont très fortement influencés par ceux de Vivaldi, que Bach a rencontré à Weimar en 1713. Mais une autre inspiration se fait aussi ressentir : celle de la musique française. Une référence que Bach assume clairement, lorsqu’il emploie le terme d’« ouverture » (en français) dans son édition des partitions.
Style italien, goût français, mouvements de danse… ces concertos sont peut-être de la main d’un Allemand, mais ils s’inscrivent résolument dans des traditions musicales internationales.
Le climat à Köthen est propice à l’épanouissement artistique de Johann Sebastian. Le château du prince Léopold n’est pas très grand, mais la musique y résonne partout. Il y règne aussi une ambiance conviviale, et les relations amicales que Bach entretient avec son employeur vont bien plus loin que ce que l’on attend d’un lien hiérarchique. En 1719, il donne d’ailleurs le nom de Léopold à son dernier fils – dont le parrain n’est autre que le prince.
La Cantate BWV 173a « Durchlauchster Leopold » (très éminent Léopold), que Bach compose pour l’anniversaire du prince, témoigne de cette joyeuse complicité.
Dès les premières notes de la partition, on est frappé par la partie de soprane… dont il est probable qu’elle ait été confiée à une certaine Anna Magdalena, tout juste recrutée par le prince.
Durant ces années à Köthen, la vie personnelle de Bach connaît de grands bouleversements. En 1720 survient d’abord un cataclysme : après un séjour à Karlsbad, où il avait accompagné le prince Léopold, Bach rentre chez lui… mais son épouse Maria Barbara n’est pas là. C’est au cimetière qu’elle se trouve. Elle qui semblait en pleine santé quelques semaines plus tôt, meurt subitement. 13 ans de vie commune, 7 enfants… on imagine le choc pour Johann Sebastian.
Au XVIIIe siècle, pour un père de famille comme lui et un musicien aussi occupé, il n’est pas envisageable de rester seul bien longtemps. Une nouvelle femme ne tarde pas à entrer dans sa vie : Anna Magdalena Wilcke. Elle a 20 ans ; Johann Sebastian en a 35. Ils partagent la même passion pour la musique. Issue d’une famille de musiciens – son père est trompettiste, sa mère organiste – Anna Magdalena est elle-même chanteuse professionnelle. C’est en tant que soprane à la cour de Köthen qu’elle rencontre Bach. Autre point commun (et pas des moindres), elle est luthérienne, comme lui.
Anna Magdalena, en plus du chant, s’essaie aussi au clavecin. Afin de l’encourager dans sa pratique de cet instrument, Johann Sebastian commence la composition des Petits livres de notes pour elle.
C’est dans ces mêmes années que Bach développe plus encore son intérêt pour le clavecin. En 1722, il achève le premier livre de son Clavier bien tempéré. Ce travail est autant artistique qu’intellectuel : Bach se penche sur la mécanique de l’harmonie et du tempérament, pour permettre à l’instrument de sonner correctement dans toutes les tonalités – même celles très éloignées qui servent d’ordinaire de référence pour l’accord.
Bach n’est pas le seul à convoler : le prince Léopold, lui aussi, se marie en 1721. Mais aux yeux de sa femme, la musique est un passe-temps passablement inutile, et elle fait pression pour que soient réduites les dépenses consacrées à l’ensemble dirigé par Bach.
Rapidement, Johann Sebastian doit se rendre à l’évidence : les jours heureux à la cour de Léopold sont terminés. Le prince en est bien conscient lui aussi, et il accepte sans rechigner la démission de Bach.
Après ces six années riches d’émotions, il est temps de tourner la page et de commencer l’écriture d’un nouveau chapitre. L’opportunité se présente rapidement… En 1722, la mort du compositeur Johann Kuhnau laisse une place vacante : le poste de Cantor de Leipzig. Bach est très intéressé, seulement voilà : il n’est pas forcément le premier choix…
Mais ça, c’est une autre histoire !