Conte-moi la musique « pour les grands »
Le Boléro de Ravel - Episode 1
Dialogue interprété par Florence Darel & Richard Dubelski
Connaissez-vous le Boléro ? le Boléro de Ravel ?
Je suis celle sans qui le Boléro n’aurait jamais vu le jour ! Je m’appelle Ida Rubinstein, mais vous pouvez m’appeler Ida. Je suis une danseuse !
Je suis née en Russie. Orpheline depuis l’âge de 7 ans…. Mes parents m’ont laissé une fortune qui me permet de vivre ma passion pour la danse.
J’ai fondé ma compagnie, je fais ce que je veux, c’est l’avantage. Je commande des œuvres musicales à des compositeurs pour créer mes propres ballets.
Maurice Ravel est mon ami et un merveilleux compositeur. Un jour, je lui ai commandé un ballet de caractère espagnol, dans lequel je serais la danseuse principale, et destiné à l’Opéra de Paris.
Après un été à la plage, Maurice a eu une idée… On raconte que c’était en sortant de l’eau après une baignade, ha ha ha, sacré Maurice, je l’adore... C’est ainsi que le Boléro est né.
Ha, Maurice, vous êtes là, Maurice mon ami, présentez-vous et parlez-nous de votre Boléro.
Chère Ida, bonjour. Je suis Maurice Ravel. Je suis né en 1875 à Ciboure. J’étais un bébé lorsque mes parents ont déménagé à Paris. Je suis rentré au Conservatoire en 1889, dans la classe de piano de…
Oh Maurice, très cher je vous en prie ! C’est un peu barbant, cette présentation, non ? Un peu de fantaisie, de grâce ! Heureusement que je vous connais, sinon je vous trouverais ennuyeux à mourir. C’est moi qui vais faire votre portrait ! Et à ma façon !
Cher Maurice, vous êtes l’un des plus grands compositeurs français.
Oh Ida, ne soyez pas excessive…
Maurice, ne soyez pas modeste ! Pour moi, vous êtes un génie. Vous êtes célébrissime ! Le public vous adore, jusqu’aux États-Unis, où vous avez fait une tournée triomphale. Vous avez composé des dizaines d’œuvres pour orchestre, pour piano, musique de chambre…. Et vous êtes l’auteur du fameux Boléro.
Moi, j’aimerais dresser votre portrait de façon un peu plus poétique.
Par exemple, si vous étiez un animal, vous seriez ?
Euh… pardon ? un animal ? Ida, quelle idée farfelue, vous…
Laissez-vous faire Maurice, nous allons nous amuser ! Moi, si j’étais un animal, je serais une panthère, grrrrr…. Hahahaha
Bon, prenons un autre exemple, Maurice, si vous étiez un art, vous seriez… ?
Un art ? Drôle de question… je suis musicien et compositeur... Si je devais choisir un art autre que la musique… alors, je serais… la danse.
La danse ! J’adore la danse, j’adore !! Chers visiteurs, je vous ai dit que j’étais danseuse ? Oui, bien sûr je me souviens !
Le Boléro est un ballet, c’est un spectacle centré sur la danse. Avec de la musique, bien sûr, il n’y a pas de danse sans musique… Mais je voulais vous dire, cher Maurice, je suis allée hier à un concert où des musiciens jouaient le Boléro, mais personne ne dansait ! C’était si étrange !
Hé bien, chère Ida, oui, même si à l’origine, le Boléro a été fait pour la danse, ma musique a eu un tel succès qu’elle est très souvent jouée pour elle-même, sans danseurs.
Hum, un ballet à écouter, quelle drôle d’idée..
Vous avez parfaitement raison Ida, le Boléro est un ballet. Pour le composer, j’ai utilisé un rythme de danse, et pas n’importe lequel. Je me suis inspiré d’une danse d’Espagne célèbre dans toute l’Europe depuis le XVIIIe siècle ! C’est un style de danse classique appelé en espagnol escuela bolera. Les danseurs et danseuses y jouent des castagnettes. Vous voyez de quoi je veux parler Ida ?
Oui ! les castagnettes, bien sûr, ces petits instruments en bois qu’on tient dans la main. Comment font-ils pour danser tout en jouant des castagnettes... ?
Les castagnettes accentuent le rythme de la musique. Ajoutez à cela des pas très rapides et de nombreux sauts, le boléro est une danse magnifique et très difficile à exécuter.
Je vous crois Maurice, j’ai déjà vu cela en spectacle à Paris ! Je peux même vous dire d’où vient le mot « boléro » !
Dites-moi, Ida, car je l’ignore.
Ha, je vous raconte dans ce cas ! Au XVIIIe siècle, il existait un danseur si gracieux, si agile, qu’il paraissait ne pas toucher terre. Il impressionnait le public avec des sauts tellement hauts qu’on l’a surnommé « volero », le danseur volant. Avec le temps, le « v » s’est transformé en « b », pour donner le mot « boléro ».
Très jolie histoire Ida..
J’ai toujours été captivé par la danse. Le Boléro n’est pas mon premier ballet ! J’ai aussi composé La Valse.
Ha, la valse, j’aime tant danser la valse.... 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3… Dans les bras l’un de l’autre, on tourbillonne, on papillonne…
Oui, les Ballets russes m’avaient commandé cette œuvre. Imaginez… une immense salle peuplée d’une foule tournoyante. On aperçoit des couples de valseurs. La lumière des lustres éclate au fortissimo ! J’ai composé une œuvre magistrale, mais Serge de Diaghilev, le directeur des Ballets russes a refusé de la jouer, il n’avait rien compris à ma musique ce bougre. J’en ai été mortifié, et je le suis toujours, d’ailleurs.
Oh Maurice, je suis désolée, j’imagine comme vous avez dû être vexé. Mais le public adore votre Valse et moi aussi d’ailleurs… Venez, venez danser avec moi, valsons !
Si vous étiez un pays, cher Maurice, lequel seriez-vous ?
Si j’étais un pays…. Je serais l’Espagne.
Je suis né dans le sud-ouest de la France, dans un village situé à quelques kilomètres de la frontière espagnole. C’est là d’où venait ma chère maman, Marie Delouard Ravel.
Les musiques et les danses espagnoles me rappellent mon enfance. C’est pour cela que j’aime mettre des rythmes de jotas, habaneras ou malagueñas dans mes phrases musicales.
Vous n’êtes pas le seul, cher Maurice, à vous inspirer de l’Espagne. En France au XIXe et au début du XXe siècle, nombreux sont les compositeurs fascinés par ce pays.
Georges Bizet, avec son opéra Carmen, est l’un des plus connus… "Toréador ,prends garde…"
Il y a aussi Claude Debussy, ou Franz Liszt !
Cette mode touche la littérature, la peinture…. J’ai vu l’autre jour un tableau d’Édouard Manet... il a fait le portrait de Lola de Valence, une ballerine venue à Paris avec une troupe espagnole.
Ces artistes montrent une Espagne un peu rêvée, pleine de couleurs, joyeuse et ensoleillée ! C’est très drôle, la plupart n’y sont jamais allés !
Vous êtes une grande voyageuse, Ida, je suis sûr que vous connaissez la corrida ?
Bien sûr ! c’est un spectacle que l’on peut voir en Espagne et même dans le sud de la France.
Un combat entre un homme et un taureau. Dans l’arène, le torero affronte l’animal, le poursuit, l’esquive avec une grande cape rouge, devant un public en délire… C’est tellement intense !
Malheureusement, le taureau est mis à mort à la fin, moi, je trouve cela terrible.
Mais que l’on aime ou non ce type de spectacle, il fait partie de la culture en Espagne. Et on retrouve les codes de la corrida dans les danses traditionnelles, jusque dans le boléro espagnol. Les ballets mettent en scène les toros et les toreros..
Moi, je préfère le flamenco ! J’aime écouter les chanteurs qui s’accompagnent en tapant dans leurs mains. Les danseurs frappent le sol en rythme avec leurs talons, et virevoltent au rythme des guitares et des castagnettes.
C’était cette ambiance dont je rêvais pour mon ballet. Et vous l’avez fait avec le Boléro ! Je savais que vous seriez le compositeur parfait pour mon ballet espagnol.
Et vous êtes la danseuse parfaite Ida ! Lors de la première du Boléro à l’Opéra de Paris, le programme annonçait : « Dans une taverne d’Espagne, on danse, sous la lampe de cuivre au plafond. Aux acclamations de l’assistance, la danseuse a bondi sur la longue table et ses pas s’animent de plus en plus ». Vous êtes magnifique dans ce rôle !
Oh, merci, cher Maurice, merci !