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Le Boléro de Ravel 2/2 | Conte-moi la musique chez les grands

Publié le 02 décembre 2024 — par Sophie Valmorin

Conte-moi la musique "Chez les grands", pour découvrir l'histoire des grandes œuvres musicales, et la vie des compositeurs et compositrices... Le Bolero de Ravel, c'est d'abord l'histoire d'une rencontre entre Ida Rubinstein et Maurice Ravel. Un dialogue imaginaire entre la danseuse commanditaire du Boléro et le compositeur dévoile les secrets de fabrication d'une des plus célèbres pages de l'histoire de la musique.

Conte-moi la musique chez les grands

Le Boléro de Ravel - Episode 2

Dialogue interprété par Florence Darel & Richard Dubelski

Savez-vous ce qu’on dit de vous, cher Maurice ? Que vous êtes un véritable enfant, hahaha. Est-ce vrai ?

Hé bien je l’avoue, chère Ida, mes amis disent que je suis aussi facétieux et joueur qu’un petit garçon. Si je devais choisir une période de la vie, je choisirais l’enfance.

Ma maison est pleine de jeux de cartes, jouets mécaniques, casse-têtes. J’aime rire et jouer des tours à mes amis.

Comment s’appelle votre opéra, déjà, celui qui parle d’un petit enfant ?  

L’enfant et les sortilèges. C’est une fantaisie lyrique, pour être exact.  

C’est l’histoire d’un enfant qui ne veut pas faire ses devoirs. Sa maman le dispute, évidemment… Quand il passe sa colère sur les objets du salon, l’horloge, la tasse, la théière… ceux-ci prennent vie et décident de se venger.  

Ha ha ha, c’est fantastique !

L’histoire a été écrite par l’écrivaine Colette. Et moi, je me suis bien amusé à composer la musique.

Ha ha j’ai failli mourir de rire en écoutant le duo miaulé… Des chats qui chantent, c’est si comique…

Si vous aimez les contes pour enfants Ida, vous allez adorer Ma mère L’Oye. J’ai composé cette œuvre pour les enfants de mes amis Godebski, en m’inspirant de La Belle et la Bête, le petit Poucet, la Belle au bois dormant… Les petits étaient ravis.

Vous savez Ida, parfois quand je pense au Boléro, je me sens comme un enfant malicieux...

J’ai joué un bon tour au monde musical, c’est presque une plaisanterie !  

Comment ça une plaisanterie, Maurice ? Le Boléro, c’est votre plus grand succès !

La première représentation en 1928 a été un triomphe !! Vous avez conquis le public. Dès le lendemain, les journaux en France et dans le monde louaient votre création audacieuse.  

Oui, les gens disent que c’est mon plus grand chef-d’œuvre, mais… il est vide de musique.

Vide de musique ? comment pouvez-vous dire une chose pareille ?

Ha ha, ne vous emballez pas Ida, je vais vous expliquer…

Allons, Maurice, parlons du Boléro, parlons de musique.

Ha la musique… C’est toute ma vie.

À votre avis, si j’étais un instrument de musique, lequel serais-je ?

Hum, vous me prenez à mon propre jeu, Maurice…. Si vous étiez un instrument de musique… ? Je sais, vous seriez le piano !

Bien essayé Ida, mais non ! Le piano est l’instrument dont je joue depuis l’âge de 7 ans, certes. C’est celui sur lequel je compose mes œuvres, c’est vrai. Mais, si j’étais un instrument, je serais..  La caisse claire. Cela ressemble à mon caractère. La caisse claire, elle est nette, précise et concise, comme moi. C’est un tambour qu’on trouve dans l’orchestre, mais surtout dans les fanfares et la musique militaire.

Je vois, je vois... Mais parlez-moi du Boléro, enfin, Maurice. Comment avez-vous conçu cette œuvre, pourquoi dites-vous qu’elle est vide de musique ?

Le Boléro, c’est comme un jeu de construction. La base, c’est ce rythme : ta cataca ta cataca ta ta ta cataca ta cataca tacatacataca

Cela rappelle les castagnettes qui marquent le rythme des danseurs espagnols !

Oui ! La caisse claire répète ce rythme inlassablement du début à la fin de la pièce. Très exactement 169 fois ! Au début, on l’entend presque seule, et petit à petit, les instruments viennent s’ajouter.

ta catacata catacata… d’accord, c’est le rythme, ensuite, Maurice, poursuivez…

La flûte commence, avec la première mélodie. Appelons-la mélodie A.  

J’adore !

Une mélodie assez simple, en somme. Puis la clarinette reprend la même chose.

Ensuite on passe à la mélodie B, jouée par le basson. C’est une réponse à la mélodie A, qui est reprise après par une petite clarinette, plus aigüe. Et cela reprend : mélodie A deux fois, mélodie B deux fois. Et on répète l’ensemble, encore et encore. C’est tout !

Non, ce n’est pas tout Maurice, vous exagérez… chaque répétition de la mélodie est un peu différente, à cause des instruments, non ?  

Oui, à chaque fois c’est un instrument différent qui joue le thème. Plus le temps avance, plus les instruments sont nombreux et plus ils jouent fort. Cela commence pianissimo, c’est-à-dire tout doucement, pour arriver à la fin à un accord fortissimo, le plus fort possible.

Vous parlez d’un crescendo, Maurice ? Je suis une danseuse, mais j’ai tout de même un peu de vocabulaire musical…

Oui, Ida, parfaitement ! Le Boléro, c’est un immense crescendo, sur 17 minutes, exactement.

Formidable, c’est formidable ! Je suis la danseuse principale du spectacle, l’intensité monte progressivement. Ma chorégraphe Nijinska a bien travaillé également. Les autres danseurs m’entourent et finissent par me dévorer, aaaaah. quelle œuvre !  

Ha j’oubliais... pour la fin, j’ai ajouté quelque chose : une modulation. Cela veut dire que la mélodie reste la même, mais on change de gamme, tout sonne un peu plus aigu. Cela donne une sensation de montée en puissance, juste avant le fortissimo !

Bravissimo, Maurice, bravissimo !

Vous savez Ida, je commence à aimer votre jeu du portrait. Posez-moi une autre question !

Avec plaisir cher Maurice ! Si vous étiez un objet, vous seriez… ?

Si j’étais un objet, je serais une machine. Je suis fasciné par les machines, depuis toujours.

Une machine ? comment cela Maurice ?

Saviez-vous que mon père était ingénieur ? Il a travaillé pour les chemins de fer, il a inventé des moteurs pour les automobiles. Enfant, je ne me lassais pas d’observer ses dessins de machines extraordinaires…  

Quand je vois des usines, des complexes industriels, je rêve de châteaux de fonte, de cathédrales incandescentes… les courroies, sifflets et coups de marteau forment pour moi une merveilleuse symphonie !

Je vous comprends très bien, Maurice. Cela me fait penser à certains tableaux qu’on voit en ce moment. L’industrie inspire beaucoup d’artistes, comme les peintres cubistes.. Picasso, Delaunay… J’ai entendu Fernand Léger dire que pour ses peintures, les formes des objets mécaniques et l’industrie moderne l’intéressaient plus qu’un paysage ou une nature morte.

Nous vivons une époque extraordinaire, n’est-ce pas ? Je parle des progrès techniques, lorsqu’on en fait bon usage…

Absolument ! L’humain a inventé les premières automobiles, les premiers avions à moteurs… Tout va si vite, la communication, les transports...  

C’est cela. J’admire tout ce qui est mécanique. Dans mes œuvres musicales je recherche la perfection technique. C’est mon but en tant qu’artiste.

Et le Boléro, c’est une perfection technique Maurice, n’est-ce pas ?

C’est une usine qui m’a inspiré le Boléro. Le rythme répété de la caisse claire, comme une machine qui tourne sans arrêt…. Les autres éléments viennent se greffer dessus comme des roues et des engrenages.

Le secret, c’est le travail d’orchestration, c’est-à-dire l’art de faire sonner ensemble les timbres des instruments, de les mélanger, comme un peintre joue avec les nuances de couleurs.

Lorsque tout sonne harmonieusement, on a la sensation d’une machine parfaitement huilée.

Et c’est très réussi Maurice, félicitations !!

Hoho c’est vous qui le dites ! À la première représentation du Boléro, une dame s’est écrié « Au fou, au fou » ! Hé bien je pense qu’elle avait tout compris.

Rhhoo Maurice. Je vais faire comme si je n’avais rien entendu !

Dites, Maurice, je suis un peu voyante, figurez-vous ! Voulez-vous connaitre l’avenir du Boléro ?

Oh oui, bien sûr !

Hum… Je vois, je vois… oh, je vois… une destinée hors du commun !

Je vois du succès, beaucoup de succès ! Jusqu’à la fin du 20e siècle, puis ça continue au 21e siècle… nous sommes en 2024, presque 100 ans après sa composition, le Boléro est l’une des œuvres de musique classique les plus célèbres et les plus jouées dans le monde !  

On dit qu’une interprétation du Boléro commence toutes les 10 minutes. Comme l’œuvre dure 17 minutes, cela veut dire qu’on ne cesse de jouer votre œuvre sur la planète Terre, Maurice !

Oh, oh, Ida, quelle imagination...

Pour l’amour du ciel, ne vous moquez pas Maurice! J’ai de véritables dons de voyance !

Je vois…. des musiciens reprenant l’œuvre à leur façon. Des chansons tragiques, humoristiques, du jazz, et même des styles du futur : le « rock n roll » et « le rap » …  Je vois des films et des livres écrits sur le Boléro. Je vois des chorégraphes du monde entier qui reprennent le ballet…

Ha voilà, j’ai trouvé. Parmi les innombrables versions du Boléro, voici ma préférée. C’est celle d’une chanteuse béninoise, Angélique Kidjo.  Elle a mis des paroles sur le Boléro, des paroles qui parlent d’amour Maurice….  Écoutons, voulez-vous ?

Cela me réjouit, écoutons, Ida ! 

Sophie Valmorin
  • Boléro, Maurice Ravel,  Les Siècles,  direction François-Xavier Roth,  concert enregistré à la Philharmonie de Paris en 2020
  • Concerto en sol, 3e mvt, Maurice Ravel,  Alexandre Tharaud, piano, Orchestre Français des Jeunes,  direction Michael Schoenwandt,  concert enregistré à la Philharmonie de Paris en 2023
  • Jeux d'eau, Maurice Ravel,  Dimitri Vassilakis, piano,   concert enregistré à la Philharmonie de Paris en 2017
  • Lon lon, Angélique Kidjo, Razor & Tie, 2007