Basquiat et la musique
Né à Brooklyn, de père haïtien et de mère portoricaine, Basquiat a baigné dans l’effervescence musicale de New York à la charnière des années 1980, marquée par l’émergence de nouvelles formes urbaines telles que la no wave et le hip-hop. Puissante et audacieuse, son expressivité s’est développée en prise avec ce paysage sonore, donnant naissance à une œuvre qui doit aussi bien à l’art de la rue qu’à la tradition occidentale, questionnant les conventions esthétiques et révélant une sensibilité tout à la fois critique et poétique.
Grand amateur de musique, Basquiat possédait, dit-on, une collection de plus de 3 000 disques allant du classique au rock en passant par le zydeco, la soul, le reggae, le hip-hop, l’opéra, le blues et le jazz. Dans son atelier, plusieurs sources sonores pouvaient coexister simultanément. Cependant, la musique est loin d’avoir seulement formé une trame sonore à sa vie et à sa pratique. Commençant par une évocation, riche d’archives, des scènes musicales fréquentées par l’artiste à New York dans les années 1970 et 1980, l’exposition met en lumière ses expériences en tant que musicien et producteur de disque. Explorant en détail son imaginaire sonore, elle examine les nombreuses références qui parsèment son travail, révélant combien la musique a informé ses représentations et influencé ses processus de composition. La façon dont Basquiat l’a inscrite dans ses œuvres témoigne, en outre, de son intérêt profond pour l’héritage de la diaspora africaine et de sa conscience aiguë des enjeux politiques liés aux questions raciales aux États-Unis. La musique apparaît ainsi comme une célébration de la créativité artistique noire tout en pointant les complexités et les cruautés de l’histoire. Elle offre une clé d’interprétation à une œuvre qui, dans son auto-invention, est parvenue à intégrer le beat d’une époque, le blues d’un peuple, le geste du sampling et les symphonies épiques d’une modernité mouvementée.
Immersion sonore dans une œuvre foisonnante
Le Musée de la musique – Philharmonie de Paris organise la première exposition consacrée à la relation puissante de Jean-Michel Basquiat à la musique. Donnant à entendre autant qu’à voir, Basquiat Soundtracks s’offre comme la bande-son héroïque, multiple et foisonnante d’une œuvre fulgurante, pour laquelle la musique se révèle une clé d’interprétation essentielle – de Beethoven à Madonna, du zydeco à John Cage, de Louis Armstrong à la Zulu Nation.
Par la réunion d’une centaine d’œuvres, cette exposition s’offre comme une expérience immersive dans les lieux et les sons qui ont façonné le parcours de Basquiat et alimenté son inspiration. Audacieuse, la scénographie montre sous un jour nouveau une invention picturale où la photocopie prend valeur de sample, et où le mix agit comme principe structurant. Complétée d’archives rares et de documents audiovisuels inédits, Basquiat Soundtracks remet en perspective une œuvre qui, tout en restant étroitement liée à la club culture – depuis l’underground jusqu’aux boîtes de nuit les plus flamboyantes des eighties –, a désormais révélé sa dimension universelle.
Nourri par un travail de recherche approfondi portant sur les sources et les références musicales de Basquiat, le dispositif audiovisuel de l’exposition a été conceptualisé et articulé par Nicolas Becker, ingénieur du son et sound designer pour l’art contemporain (Philippe Parreno) et le cinéma (Sound of Metal de Darius Marder ; Alejandro González Iñárritu…). En collaboration avec la Philharmonie de Paris et Vincent Bessières, Nicolas Becker a imaginé une véritable partition musicale évolutive et organique. Celle-ci puise sa matière parmi des centaines de titres et d’enregistrements, et s’appuie sur un logiciel pionnier, Bronze. Capable, par le biais de l’intelligence artificielle, de concevoir des associations de sons aussi pertinentes qu’imprédictibles et de faire varier des combinatoires de morceaux préexistants selon des critères déterminés en amont, Bronze élabore des scénarios musicaux proprement inouïs et recompose à l’infini la bande-son de l’exposition. L’expérience vécue par chaque visiteur est ainsi unique, l’immergeant dans un brassage de références sonores et musicales en perpétuel mouvement, à l’image de la manière dont Basquiat lui-même appréhendait la musique.
Basquiat et les musiques de son temps
Le talent de Jean-Michel Basquiat émerge à New York à la toute fin des années 1970, au sein d’une communauté artistique parmi laquelle la pluridisciplinarité est de mise. Poète, styliste, auteur d’assemblages d’objets trouvés, Basquiat est ainsi musicien avant d’être pleinement peintre : le groupe Gray, dont il est le cofondateur et leader officieux, partage la scène avec des formations phares de la no wave telles que DNA ou The Lounge Lizards, dont les partis pris esthétiques ne sont pas sans écho avec l’œuvre plastique de Basquiat. Parallèlement, celui-ci subit de plein fouet une autre vague musicale qui, à partir de 1980, déferle sur Manhattan depuis les quartiers du Bronx et de Harlem où elle a éclos : la révolution culturelle du hip-hop qui, uptown, a engendré de nouvelles façons de danser, de faire de la musique et de peindre. Proche de plusieurs acteurs majeurs du mouvement comme Fab 5 Freddy, Rammellzee ou Toxic, Basquiat produit et réalise en 1983 un titre de rap, Beat Bop, et fréquente les soirées où DJ, MC et graffeurs révèlent leur créativité. Dans ses toiles se manifestent alors, notamment par le recours à la photocopie, des procédés d’échantillonnage et de collage comparables à ceux au fondement du hip-hop.
Le catalogue de l'exposition Basquiat Soundtracks sera disponible à partir du 30 mars 2023 sur la Librairie des Éditions de la Philharmonie.