La Philharmonie de Paris organise la première exposition consacrée à la relation puissante de Jean-Michel Basquiat à la musique. Donnant à entendre autant qu’à voir, Basquiat Soundtracks s’offre comme la bande-son héroïque, multiple et foisonnante d’une œuvre fulgurante, pour laquelle la musique se révèle une clé d’interprétation essentielle – de Beethoven à Madonna, du zydeco à John Cage, de Louis Armstrong à la Zulu Nation.
Déferlantes no wave et hip-hop
Émergeant parmi la communauté artistique du New York de la fin des années 1970, où la pluridisciplinarité est de mise, le talent de Jean-Michel Basquiat se révèle à la confluence de deux vagues musicales majeures : la no wave et le hip-hop. Poète, styliste, sculpteur et surtout musicien avant même d’être peintre, Basquiat est le leader officieux du groupe Gray qui partage la scène avec des formations phares de la no wave, tels DNA ou The Lounge Lizards. Ses premiers pas créatifs se font dans les clubs downtown qui servent de repaire à une génération d’artistes marquée par le punk qui, entre performance et expérimentation, cherche à repenser ses pratiques et ramener l’art à la vie. Simultanément, Basquiat subit de plein fouet la déferlante du hip-hop, révolution culturelle qui développe uptown ses propres codes et manières de faire, tant sur le plan de la musique que sur celui de la danse et des arts visuels. Il s’investit dans la communauté des artistes qu’il fédère au point de produire un single de rap intitulé Beat Bop (1983), mettant en vedette un pionnier du genre : Rammellzee.
Dispositif scénique de l’exposition Basquiat Soundtracks © Joachim Bertrand
Le jazz en héritage
Si les rappeurs se présentent alors comme les petits-fils des be-boppeurs, le jazz occupe aussi une place essentielle dans la peinture de Basquiat. L’artiste s’inscrit ainsi dans l’héritage culturel noir new-yorkais qui le rattache à une généalogie artistique sans équivalent dans le champ des beaux-arts. Hantée par la destinée tragique de Charlie Parker, figure du génie foudroyé, son œuvre regorge de références aux disques et aux musiciens de jazz. Sa compréhension du genre modifie en profondeur la composition de ses tableaux. Du delta du Mississippi, terre de naissance du blues, aux côtes de l’Afrique en passant par la Caraïbe à laquelle le rattachent ses ascendances haïtienne et portoricaine, l’œuvre de Basquiat explore l’Atlantique noir, ce continent immatériel et diasporique où la musique est un lieu de mémoire : elle témoigne d’un continuum spirituel à travers les âges, qu’incarne la figure ancestrale du griot.
Jean-Michel Basquiat, Untitled (Left Hand Right Hand), 1984-1985, collection particuliere © The Estate of Jean-Michel Basquiat, Licensed by Artestar, New York © photo : Joachim Bertrand
Plongée immersive dans une œuvre foisonnante
Réunissant un ensemble exceptionnel de près d’une centaine d’œuvres, cette exposition s’offre comme une expérience immersive dans les lieux et les sons qui ont façonné le parcours de Basquiat et alimenté son inspiration. Audacieuse, la scénographie montre sous un jour nouveau une invention picturale où la photocopie prend valeur de sample et où le mix agit comme principe structurant. Complétée d’archives rares, d’instruments emblématiques et de documents audiovisuels inédits, Basquiat Soundtracks remet en perspective une œuvre qui, tout en restant étroitement liée à la club culture – depuis l’underground jusqu’aux boîtes de nuit les plus flamboyantes des eighties – a désormais révélé sa dimension universelle.
Week-end « West Side / East Side » : Deux Expositions, Un Billet
Autour de l’œuvre de Jean-Michel Basquiat, la Philharmonie de Paris et la Fondation Louis Vuitton développent une collaboration inédite construite sur la complémentarité de leur programmation.
Du vendredi 30 juin au dimanche 2 juillet, un billet acheté pour l’une des deux expositions donne accès gratuitement à l’autre exposition. Cet événement conjoint donne aussi lieu à des animations gratuites : des dj-sets West Side, à la Fondation Louis Vuitton, et des projections du film Downtown 81 East Side, à la Philharmonie de Paris.
Michael Halsband, Andy Warhol & Jean-Michel Basquiat #143 New York City, July 10, 1985 (détail) © Michael Halsband, 2023 / Jean-Michel Basquiat, Toxic, 1984, Fondation Louis Vuitton, Paris © The Estate of Jean-Michel Basquiat, Licensed by Artestar, New York
Commissaires
Vincent Bessières
Dieter Buchhart
Mary-Dailey Desmarais
Une exposition co-organisée par Le Musée des Beaux-Arts de Montréal et la Philharmonie de Paris
Avec la collaboration de
Écouter et regarder
Vincent Bessières présente l’exposition Basquiat Soundtracks
Basquiat Soundtracks est la première exposition qui explore la relation très féconde entre Jean-Michel Basquiat et la musique. La musique nous est apparue comme un sujet particulièrement pertinent pour non seulement mieux comprendre l’univers dans lequel il a émergé, l’environnement artistique qui était le sien, mais aussi son rapport à la forme, son rapport à l’histoire de la musique, à l’histoire américaine, même, d’une manière générale. Et donc la musique intervient à différents niveaux. Mais l’exposition va davantage vers ce qu’il représente, la thématique de ses tableaux, le fait que ses tableaux sont souvent sonores, bruyants, qu’ils représentent le son, des personnages qui font du bruit. Et puis, bien sûr, on examine aussi son rapport au jazz qui est, par essence, la musique noire américaine, et probablement la musique qu’il a le plus représentée, la musique la plus citée dans ses tableaux, et qui est pour lui une sorte de panthéon artistique, tout en allant au-delà du jazz, vers des formes plus populaires, plus vernaculaires comme le blues, la région du delta du Mississippi, qui constitue pour lui un espace géographique très important, avec l’horizon lointain de l’Afrique, qui était pour lui ce qu’il appelait « une mémoire culturelle ».
Dans un lieu comme la Philharmonie de Paris, il paraissait indispensable que la musique soit présente dans l’espace, pas seulement dans le discours, les explications, les tableaux. Qu’on puisse offrir au visiteur une expérience de visite qui ait une dimension sonore très forte. D’abord parce que Basquiat peignait en musique, il baignait dans la musique, il avait un rapport très fort et très intime à la musique. Et ensuite, il a fallu mettre en forme toute cette musique. On a privilégié l’image animée, les vidéos, de façon à montrer aussi les musiciens que Basquiat a vus et entendus. L’ensemble de tout ce contenu audiovisuel est piloté par un logiciel qui s’appelle Bronze, qui nous a été suggéré par Nicolas Becker, un designer sonore et ingénieur du son avec qui nous avons travaillé à l’élaboration de toute la partie sonore de l’exposition. Et ce logiciel a la capacité de puiser dans cette banque de musique et d’agencer le déroulement des morceaux en les enchaînant jamais de la même façon. Ce qui fait que, en fonction de l’heure ou du jour où on visite l’exposition, on n’entend pas la même chose.
Basquiat, on peut dire qu’il s’est auto-inventé, parce qu’en fait, il a construit son identité comme une espèce de mosaïque, en empruntant à droite et à gauche. Et effectivement, l’exposition s’attarde sur cette dimension-là. On a consacré tout un espace à Gray, le groupe de Basquiat en 1980. On montre aussi son implication dans la scène hip-hop, comment il a participé à l’émergence de soirées, comment il a même produit un single de rap qui s’appelle « Beat Bop », un très bon morceau. Basquiat utilise la musique pour parler de beaucoup de choses. La musique, pour lui, est étroitement corrélée à l’histoire des Etats-Unis et en particulier à la place qu’a occupée dans cette histoire la communauté afro-américaine, dont on sait qu’elle a donné naissance à beaucoup de musiques, à beaucoup de genres de musique qui ont d’ailleurs complètement nourri la musique populaire du XXe siècle.
Entretien : Tristan Duval-Cos
Réalisation : Clément Gaultier - Imaginé productions
Montage : Laurent Sarazin - Imaginé productions
© Cité de la musique – Philharmonie de Paris
Espace d'exposition - Philharmonie
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