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Negus Christ : Histoires du mouvement rastafari

Publié le 20 avril 2017 — par Boris Lutanie

© DR

Dans la Jamaïque coloniale, les Rastafaris redessinent le visage de Dieu et proclament leur allégeance à l’Éthiopie. Portés par le succès du reggae, ils vont conquérir les jeunesses du monde entier. Le livre Negus Christ retrace cette fabuleuse histoire. Extrait.

Enchristés dans un no man's land anthropologique, entre sous-humanité et animalité, les peuples africains déracinés et leurs descendants ont subi une double oppression, physique et métaphysique, celle du maître et celle du prêtre. Ainsi, se dessine en creux, tout au long de ces pages, l’ombre tutélaire de Marcus Garvey qui encourageait ses frères à s'affranchir des représentations leucodermes du Christ et à envisager le divin « à travers les lunettes de l'Éthiopie ». Fils d'un fervent garveyite, Malcolm X affirmera en ce sens : « Alors que toutes les religions du monde enseignaient à leurs fidèles que leur Dieu était un être identifiable, un Dieu qui leur ressemblait, l'esclavagiste obligea le Noir à adopter la religion chrétienne. Il lui apprit à adorer un Dieu étranger qui avait les cheveux blonds, le visage pâle et les yeux bleus de son maître. »

Le 2 novembre 1930, le Négus Tafari Makonnen est couronné Empereur d'Éthiopie et hérite de la prestigieuse titulature impériale : « Roi des rois, Seigneur des seigneurs, Lion Conquérant de la tribu de Juda, élu de Dieu, défenseur de la foi, lumière du monde. » Il prend son nom de baptême Haïlé Sélassié 1er, « Puissance de la Trinité », Pour une poignée d'aventuriers jamaïcains, le sacre du Ras Tafari sonne l'heure de la libération. Pour saisir tous les enjeux qui président à la naissance du mouvement rastafari, sans doute faut-il prendre à Césaire ce qui ne lui appartient pas encore. Cet ouvrage s'ouvre sur un entretien avec Henry Archibald Dunkley, un des premiers Rastafaris.

Lorsque Dunkley revient sur les origines du mouvement et son cheminement spirituel, il proclame la négritude ontologique du Christ : « C'était un homme noir. Le Christ est un homme noir. » C'est une révélation mais c'est aussi un choix, une reconquête. Ainsi émerge en Jamaïque une christologie noire, incarnée : une transcendance à visage humain. Man in Gad and Gad in Man. Une transcendance à hauteur d'homme. Dans son opuscule anarchristique publié en Jamaïque en 1926, The Royal Parchment Scroll of Blaek Supremacy, le Révérend Fitz Balintine Pettersburg écrivait ces mots : « We are the Creators of Creation. »

Dans les premières décennies du mouvement, la formule « Negus Christ» apparaît dans les chants et les prières rastafari. La proximité phonétique entre « Negus» et « Jesus» fait à la fois signe et sens. « Roi » en amharique, Negus se révèle également comme un mot-valise fusionnant les termes « Negro » et « Jesus », La naissance du mouvement rastafari est à la fois un acte d’émancipation (emancipate yourself from mental slavery) et de création. 

Extrait de Giulia Bonacci, Robert A. Hill, Jakes Homiak, Boris Lutanie, Negus Christ. Histoires du mouvement rastafari, Afromundi (Collection Stéréoscopique), 2016, p. 9-10.