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Les Clés du classique #44 - Le Sacre du printemps de Stravinski

Publié le 12 mars 2024 — par Charlotte Landru-Chandès

29 mai 1913, Théâtre des Champs-Élysées à Paris. C’est le jour de la création du Sacre du printemps de Stravinski...

La série Les Clés du classique vous fait découvrir les grandes œuvres du répertoire musical.

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Les extraits du Sacre du printemps sont interprétés par le London Symphony Orchestra sous la direction de Peter Eötvös. Concert enregistré à la Philharmonie de Paris le 20 avril 2015.

Retrouvez l’intégralité du concert sur Philharmonie  à la demande.


Les dissonances, le martèlement et la violence rythmique mettent la salle sens dessus dessous. Quant à la chorégraphie, on la trouve sans grâce ni beauté. Le public du Tout-Paris mondain manifeste clairement son mécontentement et l’œuvre disparaît de l’affiche après seulement 8 représentations. Révolutionnaire, novateur, Le Sacre du printemps va déclencher l’un des plus grands scandales de l’histoire de la musique.

C’est vers 1910-1911 que Stravinski met au point le livret du Sacre. À la même époque, il est occupé par la composition et la création de L’Oiseau de feu et de Petrouchka, ses deux premiers ballets en collaboration avec Serge de Diaghilev, l’impresario des Ballets Russes. Stravinski n’a alors même pas 30 ans et il est déjà célèbre. Le Sacre du printemps sera sa troisième collaboration d’ampleur avec Diaghilev. 

Pendant l’été 1911, Stravinski rejoint son ami peintre, Nicolas Roerich, spécialiste de l’Antiquité russe. Ensemble, ils réfléchissent au plan général de l’œuvre. Sous-titré « Tableaux de la Russie païenne », Le Sacre du printemps se découpe en deux grandes parties (L’Adoration de la terre et Le Sacrifice). 

L’argument s’inspire des cérémonies de l’ancienne Russie en l’honneur de la terre et du printemps, qui se terminaient par le sacrifice d’une jeune vierge élue. En mars 1912, Stravinski écrit au chef Pierre Monteux, pressenti pour diriger l’œuvre : « C’est comme si vingt années et non deux s’étaient écoulées depuis que j’ai composé L’Oiseau de feu. »

Il faut dire que les deux partitions sont très différentes… À la fois polyrythmique et polytonale, celle du Sacre déroute, s’affranchit de toutes les formes d’expression traditionnelles. Stravinski joue sur les timbres des instruments et utilise des effets inhabituels : pavillon en l’air des cors, glissandi sur la grosse caisse… Le compositeur cherche à heurter les esprits. L’emploi d’harmonies âpres, la prépondérance des vents et des rythmes sont autant de pieds de nez à la tradition qui inscrivent l’œuvre dans la modernité. Stravinski termine la composition de l’œuvre le 8 mars 1913. 

Il a quelques réticences sur le choix de Vaslav Nijinski, protégé de Diaghilev, comme chorégraphe. Il le trouve assez peu mature pour ce qui est de la musique. Nijinsky prévoit une chorégraphie radicalement différente de ce qui se fait à ce moment-là. La danse est ici fondée sur un geste rentré : pieds en dedans, dos voûtés, têtes penchées sur le côté. Il est si difficile de danser dans ces positions qu’il faudra aux danseurs une centaine de répétitions !

Lors de la générale, le 28 mai 1913, on s’interroge. Les critiques sont dubitatifs. Et ils ont raison, car le lendemain, la création est des plus turbulentes. Dans ses Mémoires, Stravinski raconte à propos de la première : « Pendant toute la représentation, je restai dans les coulisses à côté de Nijinski. Celui-ci était debout sur une chaise criant éperdument aux danseurs : seize, dix-sept, dix-huit… (ils avaient leur compte à eux pour battre la mesure). Naturellement, les pauvres danseurs n'entendaient rien à cause du tumulte dans la salle et de leur propre trépignement. Je devais tenir Nijinski par son vêtement, car il rageait, prêt à tout moment à bondir sur la scène pour faire un esclandre. Diaghilev, dans l’intention de faire cesser ce tapage, donnait aux électriciens l’ordre tantôt d’allumer, tantôt d’éteindre la lumière dans la salle. C’est tout ce que j’ai retenu de cette première. »

Du côté des musiciens, certains encensent l’œuvre, comme Maurice Ravel. D'autres se montrent plus sceptiques. Claude Debussy, qui se sent un peu dépassé, parle ainsi de Stravinski : « C’est un jeune sauvage qui porte des cravates tumultueuses, baise la main des dames en leur marchant sur les pieds. Vieux, dit-il, il sera insupportable. »

Charlotte Landru-Chandès

Charlotte Landru-Chandès  collabore à France Musique, La Lettre du Musicien et Classica. Elle conçoit des podcasts pour l'Opéra national de Paris et la Philharmonie de Paris.