Musicienne avant d’être femme, Augusta Holmès refusa sa vie durant de se conformer au modèle de la mère de famille, effacée et soumise, ne créant que dans l’ombre et sous l’égide de son mari. Au cœur du XIXe siècle, elle défia les codes mondains pour faire de la musique son métier. Un choix audacieux qui lui valut l’admiration de ses pairs ou le rejet de ses contemporains et la fit sombrer dans l’oubli dès après sa disparition.
MUSE ET CRÉATRICE
D’origine anglo-irlandaise, Holmès grandit à Versailles dans un milieu mondain. Elle apprend la peinture et la poésie mais c’est surtout la musique qui retient son attention : adolescente, elle complète sa formation de pianiste par des cours de chant et d’harmonie. Encouragée par son père, elle se produit dans les salons, où son talent et sa beauté ensorcellent. On admire son opulente chevelure blonde et ses traits de divinité antique, on s’émerveille devant sa culture et l’entièreté de son caractère. La jeune muse fascine tout particulièrement les hommes : le peintre Henri Régnault imprime ses traits à l’une de ses figures, le poète Villiers de L’Isle-Adam lui dédie ses vers, le compositeur Camille Saint-Saëns la demande plusieurs fois en mariage…
Mais l’égérie des artistes est artiste elle-même ! Holmès se consacre d’abord au répertoire de la mélodie, dont elle écrit à la fois les poèmes et la musique. Appréciées dans les cercles mondains, fêtées par Liszt puis Wagner, ses mélodies sont prêtes à partir à la conquête de leur auditoire : au printemps 1868, son premier concert public remporte un succès considérable et lance sa carrière de musicienne professionnelle.
LE TRIBUNAL SOCIÉTAL
La compositrice s’attelle dès lors à des genres plus ambitieux : elle écrit des œuvres orchestrales, dont plusieurs poèmes symphoniques de veine épique. Au moment de la guerre franco-allemande de 1870, puis pour le centenaire de la Révolution française, elle n’hésite pas à conjuguer à ses œuvres musicales un message politique. Mais, comme le disait amèrement Mme de Staël, « La gloire elle-même ne saurait être, pour une femme, qu’un deuil éclatant du bonheur ». La prétention à l’indépendance et à la célébrité d’Holmès déplaît aux milieux conservateurs et les critiques de ses concerts s’attardent sur sa condition de femme. À propos de l’Ode triomphale, taxée d’être « viriliste », on écrit que « nul ne croirait, en entendant ses œuvres sans en connaître l’auteur, qu’elles ont été enfantées par un cerveau féminin ». Cette formule mitigée laisse place à un sexisme assumé lorsque la musicienne ose présenter son drame lyrique La Montagne noire sur les planches de l’Opéra Garnier : « On a beaucoup discuté cette semaine les théories du Norvégien Strindberg sur l’infériorité de la femme : il n’a pas été fourni d’argument plus probant que l’opéra de Mlle Holmès ».
La malveillance excède le domaine artistique pour toucher jusqu’à sa vie privée. Car Holmès, jamais mariée, est l’amante passionnée de l’écrivain Catulle Mendès. Cinq enfants naissent de leur relation ; chaque fois, la musicienne doit interrompre sa carrière pour dissimuler ces grossesses irrégulières. Peu impliquée dans l’éducation de ses enfants, Holmès préfère affronter le scandale et poursuivre sa carrière musicale. Post-mortem, on ne lui pardonnera pas cette foi en l’art qui, admise chez les hommes, est jugée arrogante chez les femmes. Et surtout que sa musique défie encore les codes moraux de la décence féminine par son lyrisme passionné et son héroïsme farouche, particulièrement appréciables dans le poème symphonique Andromède.