Véritable institution, cette formation dirigée par Wynton Marsalis défend une certaine idée du jazz, à la fois exigeant et festif, moderne et proche de ses racines.
Préservation et diffusion du jazz
Le Jazz At Lincoln Center Orchestra (JALCO) est le navire amiral avec lequel Wynton Marsalis défend et illustre, depuis 1988, la richesse et la vitalité de la tradition du jazz. Voulu de longue date par le trompettiste, ce big band reprend l’instrumentation des grands orchestres des années 1930, en particulier le modèle du Duke Ellington Orchestra, soit une quinzaine d’instrumentistes répartis en quatre pupitres : quatre trompettistes, quatre trombonistes, quatre saxophonistes (qui doublent souvent avec un autre instrument à vent, comme la flûte ou la clarinette) et une section rythmique constituée d’un pianiste, d’un contrebassiste et d’un batteur. Avec l’exigence qu’ont pu avoir dans le domaine de la musique ancienne Nikolaus Harnoncourt ou William Christie, Wynton Marsalis a fait de cet ensemble le véhicule idéal pour faire revivre les chefs-d’œuvre du passé, opérant, à rebours d’une conception largement partagée qui voudrait que le jazz soit constamment dans le renouvellement de lui-même, un retour en arrière, en envisageant cette musique sous l’angle du patrimoine, survivant à la disparition de ses inventeurs et de ses interprètes originels.
Partitions du passé et nouveaux arrangements
Résolument politique, cette démarche s’est accompagnée de l’ambition de voir ouvrir à New York un lieu dédié à la préservation et la diffusion du jazz, sur le modèle des grandes institutions consacrées à la musique classique ou à l’opéra que sont le Lincoln Center ou le Metropolitan. Finalement inauguré en 2004, le complexe de Jazz at Lincoln Center, implanté à Colombus Circle, à l’angle sud-ouest de Central Park, doté de deux salles de concerts et d’un club, remplit cette fonction. Le JALCO est l’un des piliers de son rayonnement. Loin de se cantonner à ses quartiers new-yorkais, l’orchestre, en effet, est très régulièrement sur la route, chargé de jouer les ambassadeurs du jazz et de perpétuer la musique de ceux qui en ont défini le langage et les formes depuis Jelly Roll Morton jusqu’à Wayne Shorter, non seulement sur le territoire américain mais aussi dans le reste du monde où il mène des tournées qui durent plusieurs semaines d’affilée. En qualité de directeur musical, Wynton Marsalis définit depuis les débuts les répertoires que l’orchestre interprète et ressuscite, piochant aussi bien dans l’âge d’or de la Swing Era de Count Basie ou Fletcher Henderson que dans les partitions de Dizzy Gillespie ou Charles Mingus, sans oublier Duke Ellington, dont l’œuvre immense tient une place de choix dans ses programmes. Loin de se limiter aux partitions du passé, cependant, l’orchestre est aussi l’interprète principal des œuvres, aussi nombreuses qu’ambitieuses, composées par Marsalis lui-même mais aussi celles écrites par les membres de la formation, comme les saxophonistes Sherman Irby ou Ted Nash qui ont reçu commande de pièces dédiées à l’orchestre. Les musiciens, en outre, ont également pour mission de concevoir de nouveaux arrangements pour l’ensemble, en adaptant à l’échelle du big band notamment des thèmes composés par des grands du jazz à l’origine pour petites formations. Le JALCO s’est ainsi penché ces dernières années sur la musique de John Lewis, Dave Brubeck, Wayne Shorter ou Charlie Parker, entre autres, contribuant ainsi à leur donner une nouvelle vie.
un Orchestre flamboyant
Un concert du Jazz At Lincoln Center Orchestra est par conséquent l’occasion pour la formation de piocher dans un répertoire considérable. Ainsi, chacune de ses prestations est différente car les morceaux interprétés d’un soir sur l’autre ne sont jamais exactement les mêmes. Ils s’offrent comme un florilège non seulement du vaste songbook de la formation mais aussi des talents qui la constituent. Fidèle à la tradition des big bands, le JALCO est constitué d’instrumentistes qui maîtrisent tout l’éventail stylistique et expressif développé par leurs prédécesseurs – notamment les growl, wah-wah et autres effets propres au lexique du jazz – mais ce sont aussi des solistes de premier plan, appelés à investir de leurs improvisations les œuvres qu’ils interprètent. Assis parmi la section de trompettes, Wynton Marsalis se fond dans l’ensemble, veillant à l’équilibre de l’ensemble de l’intérieur, n’émergeant que de temps en temps avec la maestria qu’on lui connaît, lorsqu’il s’octroie un solo. Il mène cet orchestre flamboyant à l’assurance sans faille avec un flegme admirable, porté par la conviction que les chefs-d’œuvre du passé ne peuvent qu’enrichir et illuminer notre présent, et que le monde ne cessera jamais d’avoir besoin de l’élan vital du swing.