Difficile de dater précisément la naissance de la musique dite répétitive (aussi appelée minimaliste, musique de transe, musique hypnotique ou encore musique sans intention): doit-on remonter jusqu’à Erik Satie, qui en est un indubitable précurseur en même temps qu’une figure tutélaire? Ou aux premières expériences de La Monte Young et de Terry Riley à la fin des années 1950? Une chose est certaine: c’est la rencontre de ces deux hommes qui donne naissance au premier chef-d’œuvre de ce nouveau courant: In C en 1964. Une œuvre longue (près d’une heure), dans laquelle Terry Riley décline un langage totalement maîtrisé et abouti, au mouvement interne incessant et fascinant. Expérimentateur de l’extrême, Terry Riley s’efforce ici, comme le titre l’indique, de ne jamais s’écarter du do majeur (In C en anglais). Seul un éphémère et incongru fa dièse désobéit à la règle pour colorer le kaléidoscope. La pièce s’élabore autour de quelques cellules que les interprètes enchaînent, superposent et emboîtent de manière aléatoire, dans certaines limites de liberté laissées par le compositeur. La structure temporelle de la pièce devient ainsi le fait de l’interprète, réservant tout l’espace sonore aux mélanges harmonieux de timbres (par petites touches scintillantes, boisées et tintinnabulantes) et autres glissements modaux.
Une œuvre fondatrice, donc, dont nous fêterons cette saison le 60e anniversaire. L’occasion de lui offrir près d’une semaine de concerts, du 15 au 19 juin. Pendant ces cinq jours de musique, le canevas rythmique serré d’In C sera revisité par Joakim, l’un des musiciens électro les plus aventureux de la scène française, et ses invités, mais aussi par Erwan Keravec et son ensemble de sonneurs, et inspirera un spectacle haut en couleur à la chorégraphe allemande Sasha Waltz.
Autre chef-d’œuvre fondateur du mouvement: Music in Twelve Parts (1971-74) de Philip Glass, dont la Philharmonie de Paris décline cette saison les multiples facettes. C’est ainsi que les quatre heures de cette œuvre, qui constituent une sorte de Clavier bien tempéré de ce qui était alors un tout nouveau langage, viennent illustrer les débuts du prolifique compositeur new-yorkais. Et qui d’autre que le Philip Glass Ensemble pour interpréter cette œuvre séminale le 8 octobre?
Au fil des mois, on pourra également apprécier son talent de compositeur pour le cinéma, avec sa musique pour le Dracula (1931) de Tod Browning (le 31 octobre), tirant profit des qualités intimes et expressives du quatuor à cordes pour «mettre en relief les différents plans émotionnels du film». Sa musique pour piano sera défendue notamment par Shani Diluka le 16 décembre, accompagnée de dessins de Matthias Lehmann.
Il ne faudrait pas négliger non plus les expériences scéniques de Glass: la Philharmonie présente ainsi du 7 au 10 mars sa trilogie opératique d’après Jean Cocteau (Orphée, La Belle et la Bête et Les Enfants terribles) dans une version pour deux pianos, réalisée par Michael Riesman, arrangeur officiel de Glass, et interprétée par Katia et Marielle Labèque. Une trilogie qui nous rappelle, s’il en était besoin que, étudiant auprès de Nadia Boulanger de 1964 à 1966, Philip Glass est un grand francophile et que son amour de la culture française ne se limite pas à la musique.
Du 23 au 26 novembre, on retrouvera le monumental Einstein on the Beach –pour lequel Philip Glass a puisé dans son expérience de la musique hindoustanie–, dans une relecture futuriste imaginée par Susanne Kennedy et Markus Selg, et interprétée par les Basler Madrigalisten et l’Ensemble Phœnix Basel sous la direction d’André de Ridder et Jürg Henneberger.
La musique symphonique n’est bien sûr pas en reste, avec la création française de The Triumph of the Octagon inspirée par la forme octogonale du Castel del Monte, dans les Pouilles. Un clin d’œil au chef qui a créé l’œuvre, Riccardo Muti, lequel a passé son enfance au pied de ce château du XIIIe siècle.
Autre création française: le 18 janvier, le Quatuor Tana donne la primeur au public de la Biennale de quatuors à cordes du Neuvième Quatuor de Glass, tiré de sa musique de scène pour le King Lear de Shakespeare. Les Tana interprètent également Sunrise of the Planetary Dream Collector (1980), une œuvre que Terry Riley a composée à l’intention du Kronos Quartet. Les musiques de Glass et de Riley participent d’ailleurs aux festivités organisées par la Philharmonie de Paris pour fêter le 50e anniversaire de cette formation emblématique des musiques d’aujourd’hui, en ouverture de la Biennale, du 12 au 14 janvier.