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Thibaut Spiwack : un chef, mais lequel ?

Publié le 14 février 2024 — par Vincent Agrech

— Le chef étoilé Thibaut Spiwack - © Denis Allard

Tandis que maestre et maestri enflamment les orchestres dans les salles, le groupe SSP s’associe à Thibaut Spiwack pour donner une nouvelle vie au restaurant panoramique de la Philharmonie de Paris. Rencontre avec un chef tout juste auréolé d’une étoile au Michelin et fervent militant de plaisirs gustatifs respectueux de l’environnement.

Mon parcours dans la restauration a débuté par hasard: j’avais envie d’ouvrir un pub pour les copains. J’ai fait une école où je me suis pris de passion pour la rigueur, la précision des gestes, la beauté de l’exécution de la haute gastronomie française. Et me voilà, de fil en aiguille, au George V, puis d’un restaurant étoilé à l’autre à travers le monde. Avec toujours d’extraordinaires découvertes, mais aussi des doutes de plus en plus forts quant au sens que prenait ma vie à l’égard de valeurs humaines auxquelles je crois et de la planète. Bon, je ne vais pas non plus vendre le monde des Bisounours, un restaurant est une entreprise, et le zéro pollution n’y existera jamais. Mais on peut s’interroger sur ce qu’on fait, progresser, aller toujours dans le sens d’une plus grande harmonie avec notre environnement humain et naturel.

En ouvrant ANONA, dans le 17e arrondissement de Paris, je voulais récuser cette idée qu’il n’y aurait pas, en Île-de-France, de tradition culinaire liée au terroir et que tout proviendrait des autres régions de l’hexagone et d’autres pays du monde. D’où notre choix de travailler en circuits courts, avec des producteurs que nous connaissons, une cuisine essentiellement végétale– pas de bovins en tout cas, ni d’ovins, dont l’empreinte carbone est beaucoup plus lourde, on l’ignore souvent! Quelques jours après avoir acheté des billets pour un concert de Thylacine à la Philharmonie, j’ai reçu la proposition de SSP –l’un des leaders de la restauration sur les sites de transport et les lieux culturels– de prendre en charge son restaurant. J’ai écouté et regardé le spectacle de façon différente ce soir-là! J’aime l’architecture du lieu, qui refuse la verticalité de la plupart des immeubles du périphérique et attire immanquablement le regard, l’éclatement de couleurs et de lumières de la salle, et son acoustique extraordinaire.

— Thibaut Spiwack et Sarah Ledu ouvrent L'Envol - © Le Photographe du Dimanche

Pour inciter les spectateurs à prolonger leur expérience au sein du restaurant, il faut jouer avec l’effet de surprise, le «jardin extraordinaire» que représente ce belvédère au sixième étage d’où l’on admire Paris, à la lueur du couchant. Conformément au cahier des charges de la Philharmonie, j’ai également voulu mettre en place les mêmes principes écologiques que ceux appliqués dans mon restaurant. Notamment, dans la décoration du lieu qui a entièrement été repensée par l’architecte Jean Nouvel et ses ateliers, nous avons, avec la Philharmonie et le groupe SSP, fait le choix de moquettes recyclées, de cuirs non animaux et non pétroliers, et d’une vaisselle française. Côté carte, pour répondre aux attentes d’une clientèle beaucoup plus variée, nous allons proposer de la viande, notamment du bœuf, tout en gardant la dominante végétale. Mais j’ai soigneusement choisi le producteur dans la région et nous allons travailler sur des côtes au crochet, qui peuvent se garder plusieurs semaines à maturation, afin d’éviter tout gaspillage.

Pouvoir manger rapidement, bon et sain: telle est l’éthique de la bistronomie, surtout avec une grande amplitude de service. Certains viendront partager une assiette et boire un verre dès 18h30, avant d’aller au concert, ce à quoi se prêtera l’espace lounge, avec ses canapés et tables basses. D’autres voudront faire un long dîner à table pendant le concert– et ce sera le second grand défi des premiers mois que de toucher cette clientèle qui n’existe pas aujourd’hui. Après le spectacle, il faudra accueillir un brusque afflux d’affamés et que ceux qui ont envie de prolonger le moment jusqu’à minuit soient heureux de le faire. Par rapport à un petit restaurant gastronomique où connaisseurs et habitués viennent chercher quelque chose de très précis, c’est comme passer d’un beau concert de musique de chambre à l’orchestre symphonique: tout doit être parfaitement en place pour répondre à toutes les envies! La preuve que le pari est gagné? Si dans quatre ou cinq ans, lorsque vous direz : «Je vais à la Philharmonie», on vous répond: «Tu vas manger ou voir un concert?» Et que ce sera les deux, mais pas forcément le même soir, alors ce sera gagné.

Vincent Agrech
Vincent Agrech est journaliste (rédacteur associé du mensuel Diapason, rédacteur en chef de Notations, le magazine de l'Orchestre de Paris), essayiste (plusieurs ouvrages parus chez Stock et Humensis), conseiller du Théâtre du Château de Drottningholm (Suède) et producteur.