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26 juillet 1965 : John Coltrane joue A Love Supreme à Antibes

Publié le 10 juillet 2020 — par Pascal Rozat

© Hugo van Gelderen (Anefo)

À la tête de son légendaire quartette, le saxophoniste donne une rarissime interprétation live de son chef-d’œuvre emblématique.

— John Coltrane Quartet, "A love supreme", Archive INA

« John Coltrane interprétera un thème, enfin une composition en plusieurs mouvements qu’il a enregistrée récemment en disque aux États-Unis. Le titre en est : Love Supreme. » Autant dire que cette annonce introductive d’André Francis ferait aujourd’hui frissonner d’émotion le plus endurci des amateurs de jazz. En ce soir de juillet 1965, pourtant, rares sont les spectateurs de la Pinède Gould à se douter qu’ils s’apprêtent à assister à un événement historique : l’unique interprétation en public de l’œuvre maîtresse du saxophoniste, parue aux États-Unis à peine quelques mois plus tôt.

Unique, vraiment ? Si on l’a longtemps cru, la question semble aujourd’hui diviser les spécialistes. Disons en tout cas qu’il s’agit de la seule version live ayant fait l’objet d’une publication à ce jour, grâce à la couverture du festival par les équipes de l’ORTF. Si l’enregistrement radiophonique a été conservé et publié dans son intégralité, la captation télévisuelle réalisée par Jean-Christophe Averty ne nous est, hélas, parvenue que sous une forme lacunaire : un extrait d’à peine 13 minutes (sur un total de 48), diffusé le 21 août 1966 sur la première chaîne nationale. Et le reste, me direz-vous ? Évaporé, disparu, évanoui dans la nature, malgré les efforts opiniâtres de moult chercheurs d’or…

1965, donc : pour citer François-René Simon, « Coltrane n’est certes pas encore une légende, mais il est devenu le saxophoniste contemporain de référence et, au-delà, l’un des musiciens qui, sans le vouloir et encore moins le proclamer, changent la face des choses. » Constitué en 1960 avec McCoy Tyner au piano et Elvin Jones à la batterie, rejoints par le contrebassiste Jimmy Garrison l’année suivante, son quartette entame ce soir-là son ultime tournée européenne. Soudée comme jamais, la formation a alors atteint son point d’incandescence, une intensité presque insoutenable qui ne pourra être dépassée que par son implosion au début de l’année suivante.

Souffle de spiritualité

Pourquoi A Love Supreme, précisément ce soir-là, à Juan-les-Pins, plutôt que son répertoire « habituel » (Naima, My Favorite Things, Impressions…), qu’il interprétera d’ailleurs avec brio le lendemain sur la même scène ? Jef Gilson, qui partageait l’affiche avec Trane, a longtemps affirmé qu’il avait lui-même soufflé cette suggestion au saxophoniste. Allez savoir ! Toujours est-il que l’œuvre fut jouée, et pas qu’un peu : une interprétation puissante, habitée, traversée de bout en bout par un profond souffle de spiritualité. Comme possédé, Coltrane pousse son jeu jusqu’à ses extrêmes limites, bondissant du haut en bas de la tessiture « comme s’il jouait en duo avec lui-même. » (Dave Liebman)

Que jouer après ça ? Quittant définitivement la scène, le quartette restera à raison sourd aux rappels insistants de la foule abasourdie. Et c’est André Francis qui, avec beaucoup de sensibilité, trouva les mots justes pour conclure : « Comprenez, chers amis, que la musique ne se mesure pas au chronomètre, surtout l’art musical de John Coltrane. Il vient de nous donner le plus profond de lui-même. Permettez-lui de ne pas se répéter et de se reposer, également. »

Pascal Rozat

Journaliste à Jazz Magazine, Pascal Rozat développe également des activités de programmateur ainsi que de producteur sur France Musique.

Photo © Jean-Baptiste Millot