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El Mawsili fait la nouba

Publié le 07 mai 2018 — par Véronique Rieffel

— Ensemble El Mawsili : musiques arabo-andalouses

L’Ensemble El Mawsili de Saint-Denis contribue à faire connaître en France la riche tradition arabo-andalouse qui connut un âge d’or au XIe siècle.

Une école de musique arabo-andalouse à Saint-Denis
Fondée en 1991 en Seine-Saint-Denis, l’association El Mawsili (du nom d’un grand musicien de l’époque abbasside) est une formation centrée autour de l’enseignement de la musique San’a, plus connue en France sous l’appellation de musique arabo-andalouse. Outre l’enseignement qu’elle dispense en période scolaire à près de trois cents adhérents, elle propose des concerts assurés par un grand ensemble du même nom, El Mawsili, composé d’une cinquantaine de musiciens dirigés depuis vingt-sept ans par maître Farid Bensarsa, ancien élève de la doyenne des associations de musique algéroises. Riche de sa longue expérience dans la pratique de la musique arabo-andalouse, l’association El Mawsili poursuit par ailleurs l’objectif, en gestation depuis de nombreuses années mais devenu un besoin impérieux aujourd’hui, de créer une structure qui réunira différents pôles en lien avec l’activité musicale.

Une musique savante pour tous
La musique arabo-andalouse, de genre modal et de tradition orale, appartient au registre de la musique savante. Les règles qui la régissent sont complexes, d’où la difficulté de son approche pour un auditoire néophyte. Dans le but de mettre en lumière toute la richesse de la musique araboandalouse puisée dans les répertoires des trois pôles musicaux de l’Algérie, soit Alger, Constantine et Tlemcen, le programme de la soirée est constitué d’un bouquet de différents modes musicaux, dans lequel est interprétée une série de pièces vocales et instrumentales à thème profane. Afin de rendre plus aisée son écoute, cette note revient sur son histoire et propose la traduction des poèmes de différents thèmes (amour courtois, amitié, exil…), sur lesquels ont été adaptées de riches mélodies exprimées par les instruments utilisés dont le oud (luth oriental), le oud ‘arbi (luth maghrébin), la kouitra (luth basse), le qanun (cithare sur table), la mandole, la mandoline, la guitare, la kamendja (violon européen) et l’alto. La percussion est assurée par la derbouka (calice en fonte sur lequel est tendue une peau en galuchat ou en plastique) et le tar (tambourin à cymbales).

L’âge d’or des Abbassides
En 750, les Abbassides renversent les Omeyyades ; le pouvoir se déplace à Bagdad, où la vie intellectuelle et artistique connaît un véritable âge d’or. Les connaissances musicales font désormais partie de l’éducation de l’honnête homme. Les califes mais aussi les nobles se font mécènes et s’entourent de musiciens. Parmi les plus célèbres, deux d’entre eux, Ibrâhîm et Ishâq al-Mawsili, père et fils, furent au coeur de plusieurs querelles des Anciens et des Modernes, témoignant des efforts de certains pour se libérer du carcan des règles rythmiques et mélodiques des générations précédentes et laisser davantage de place à la création, à l’ornementation dans l’interprétation, tout en s’ouvrant aux influences perses très présentes à Bagdad.

Zyriab l’innovateur
Les écrits parvenus jusqu’à nous nous apprennent que la transmission de cette musique de l’Orient à l’Occident musulman serait due à un célèbre personnage semi-légendaire du nom de Zyriab. Disciple du maître Ishaq al-Mawsili, le musicien officiel de Harun al Rashid, Zyriab s’est vu obligé de quitter Bagdad à la suite d’une intrigue de cour pour se réfugier en Ifriqiya (Tunisie actuelle), chez le souverain aghlabide Ziyadat Allah Ier. Demandé en al-Andalus (Espagne musulmane) par l’émir omeyyade Abderraman II, il part pour une retraite au Maghreb, qui ne durera pas longtemps. En traversant le détroit de Gibraltar (Djabal Tariq), il sera accueilli en grande pompe à Cordoue, et doté d’une généreuse pension. Il y crée un conservatoire pour l’apprentissage de la musique, et introduit en Occident musulman les modes vestimentaires et les traditions culinaires de Bagdad.

Al-Andalus
La musique et la poésie constituaient des arts d’agrément très prisés des Andalous. Les villes de Cordoue, Séville et Grenade sont celles où cet art musical était le plus florissant. Si, durant le Haut Moyen Âge, Cordoue, siège du califat, était réputée pour les sciences et la littérature, sa rivale Séville ne l’était pas moins, mais en matière de pratique musicale. La musique était appréciée dans les cours princières et par l’aristocratie, qui ne la pratiquait pas. Outre des musiciens, les musiciennes et chanteuses (mughanniyat et qian) expertes en chant médinois étaient recherchées, et l’on en faisait venir d’Orient à prix d’or. Certaines formaient des orchestres appelés sitaras à Cordoue.

Postérités maghrébines
Après la Reconquista en 1492, les arabes et les juifs fuyant l’Espagne transposent ce riche patrimoine musical en Afrique du Nord. On le retrouve aujourd’hui dans tout le Maghreb sous des appellations et des formes distinctes, en fonction à la fois de l’origine géographique andalouse et de l’influence des traditions musicales populaires locales. Il est établi depuis fort longtemps qu’une tradition musicale existait déjà au Maghreb. Après la découverte du manuscrit de Tifashi, un auteur tunisien du XIIe siècle, il semble ainsi que des échanges ont existé de longue date entre le Maghreb et l’Andalousie. Ceci explique pourquoi cette tradition n’a pas cessé d’être pratiquée durant des siècles dans de nombreuses cités des deux rives, puis après l’expulsion des derniers Morisques d’Espagne en 1609, au Maghreb uniquement. Le muwashshah, le zadjal et la nouba En al-Andalus, la forme poétique courante était la qasida classique d’origine orientale, que les Andalous ont décidé, dès le IXe siècle, de remplacer par un nouveau genre poétique appelé le muwashshah (« enjolivé »). Son adoption n’a pas été aisée lors de sa création. De nombreux anthologues ont refusé d’insérer dans leurs oeuvres des muwashshahat. Un autre genre devait être créé un peu plus tard. Ce sera le zadjal (« émouvoir »), dont la forme dialectale conviendra plus à la classe populaire. Le muwashshah né en al-Andalus finira par séduire les lettrés andalous, y compris les mystiques (Ibn ‘Arabi), et par acquérir ses lettres de noblesse en Orient, également grâce à Ibn Sana’ al Mulk, un auteur égyptien du XIIe siècle qui lui a consacré tout un ouvrage, Dar at-tiraz. Le soufi Shushtari produira une oeuvre poétique dans le genre zadjal surtout. La qasida est un poème monorime et monomètre alors que le muwashshah alterne rimes (qafiya) et mètres, et se termine par une strophe finale dite khardja. Ce sont ces poèmes strophiques de différents thèmes (amoureux, bachique, floristique, élégiaque) que l’on chante dans la nouba, qui est une suite de mouvements de rythmes différents mais dont le tempo lent, tel un adagio sur le premier, s’accélère progressivement pour finir sur le dernier, vif et dansant.