L’exposition Al Musiqa accueille la série Mystic Dance de la plasticienne franco-marocaine Najia Mehadji, forme sensuelle et spirituelle évoquant la danse des derviches tourneurs.
Véronique Rieffel : Nous sommes dans ton atelier à Ivry, vaste et lumineux, on entend Miles Davis en fond sonore. Il se dégage une impression de calme et de sérénité. Comment est ton atelier à Essaouira et comment répartis-tu ton temps entre ici et là-bas ?
Najia Mehadji : Je travaille en alternance entre Ivry et Essaouira depuis 1985. Depuis 2000, j’y ai construit un atelier basique, tout en longueur, avec de grandes baies vitrées, au milieu des champs d’oliviers et du silence. Il y a juste des troupeaux de chèvres et les ânes qui longent une piste… Aujourd’hui, je passe successivement un à deux mois dans chaque atelier. J’aime ce rythme. Mon rapport au temps est évidemment très différent quand je suis au Maroc ou en France.
V.R. : Travailles-tu sur des sujets différents en fonction de l’endroit où tu te trouves ?
N.M. : Je travaille sur des séries qui durent plusieurs années, donc mes thèmes ne varient pas, que je sois ici ou au Maroc, même si Essaouira m’a incontestablement inspirée des thèmes comme celui d’Icare, lorsque je voyais des goélands devant ma fenêtre dans mon ancien atelier qui donnait sur l’océan, ou, autre exemple, le motif de la grenade. Si je ne travaille pas de façon fondamentalement différente d’un endroit à un autre, je suis plus sereine, davantage dans la contemplation à Essaouira. J’y trouve paradoxalement une forme de solitude à l’opposé de la vie communautaire marocaine. C’est un sentiment ambigu chez moi car je me sens féministe et en même temps j’ai de l’admiration pour ces femmes rurales marocaines qui vivent à proximité de mon atelier. Elles se lèvent tôt, font leur pain à partir du blé cultivé dans les champs, et de l’huile d’Argan. C’est un autre rapport au temps qui m’inspire beaucoup. Un luxe de vie inconnu à Paris.
Extrait de Tracer sa vie entre singularité et universalité. Entretien entre Najia Mehadji et Véronique Rieffel.