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Supersoniques #8 : Erik Satie, la tête comme un cabaret

Publié le 29 septembre 2023 — par Sabrina Valy

— Supersoniques #8 : Erik Satie, la tête comme un cabaret

Célia Houdart lit Erik Satie

Dans la maison natale d’Erik Satie, rue Haute, à Honfleur, les panneaux qui servent de support à une exposition multimédia recouvrent d’anciens graffitis tracés jadis par des marins. Le petit Erik a peut-être appris à lire à même les murs en déchiffrant ces écritures et ces dessins. La rue Haute se trouve en réalité en bas de la ville, tout près de la plage où la grand-mère d’Erik Satie s’est noyée, là où la Seine s’élargit en estuaire, dans un mélange d’eau douce et salée. Adrien Satie invite son neveu au théâtre et au cirque. Prestidigitateurs, jongleurs, trapézistes, tourterelles, couteaux, balles, ombrelles... Erik aimera toute sa vie les artistes de cabaret, les chanteuses, les chansonniers, les refrains qui font tourner la tête, les arts populaires qui ont formé son goût, tout ce qui communique avec la rue. Erik Satie se fâche avec à peu près tout le monde. La critique, le Conservatoire, sa belle-mère, son frère, l’armée. Il admire les chants et nids d’oiseaux, la merveille d’art et d’industrie dont ils témoignent, Bach et Chopin. Quand il veut, grâce à un sorcier de ses amis, Erik Satie habite la France du temps de Charlemagne ou la Grèce antique. Téléporté comme par enchantement, il voyage dans l’espace et dans le temps. Le 9 septembre 1963, John Cage est le premier musicien à créer, au Pocket Theater de New York, avec neuf autres pianistes, Vexations, une pièce composée en 1893 qui consiste en une unique phrase musicale répétée 840 fois. 18 notes graduées en demi-tons. La création dure 18 heures et 40 minutes. Note d’Erik Satie en tête de la partition : « Pour jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses. » Lettre à Jean Cocteau, 1er mars 1920 : « Exigez la musique d’ameublement. Pas de réunion, d’assemblée, etc. sans musique d’ameublement. Musique d’ameublement pour notaires, banques, etc. La musique d’ameublement n’a pas de prénom. Pas de mariage sans musique d’ameublement. N’entrez pas dans une maison qui n’emploie pas la musique d’ameublement. Celui qui n’a pas entendu la musique d’ameublement ignore le bonheur. Ne vous endormez pas sans avoir entendu un morceau de musique d’ameublement, vous dormirez mal. » Erik Satie.

Réalisation & montage : Laurent Sarazin - Imaginé productions
© Cité de la musique - Philharmonie de Paris

Dans Erik Satie, huitième numéro de la collection « Supersoniques », l’écrivaine Célia Houdart emprunte à l’univers du pianiste et compositeur la ligne claire, l’écart et la légèreté profonde. Dans sa lecture se juxtaposent les dessins de l’artiste Alain Huck, créant une sorte d’aura de surprise flottante. Reprise, déprise.

Erik Satie naît Éric avec un C. En 1884, il compose Allegro, sa première œuvre inspirée de l’air populaire « Ma Normandie », et décide d’écrire son prénom avec un K pour souligner son ascendance viking mystérieuse. Entre Montmartre et Arcueil, Erik Satie imagine un cirque musical : une partition pour bouteillophone, un tour d’escamoteur de notes, une femme-hercule tordant des barres de mesure entre ses mains. Un numéro d’hypnose. Postulez en vous-même. Ouvrez la tête. Enfouissez le son. Erik Satie que John Cage aimait d’amour.

Célia Houdart écrit des textes pour l’art contemporain, le théâtre, la danse et la musique. Elle a été lauréate du Prix Henri de Régnier de l’Académie française pour son premier roman Les Merveilles du monde (P.O.L, 2007), du Prix Françoise Sagan pour Carrare (P.O.L, 2011) et du Prix Livres & Musiques de la Ville de Deauville pour Gil (P.O.L, 2015). Elle est également autrice des romans Le Scribe (P.O.L, 2020), Tout un monde lointain (P.O.L, 2017) et Le Patron (P.O.L, 2009) ; des récits Journée particulière (P.O.L, 2021) et Villa Crimée (P.O.L, 2018) ; et des essais French Riviera (éditions P, 2016) et Georges Aperghis : avis de tempête (Intervalles, 2007).

Alain Huck travaille à Lausanne. Il revendique une pratique ouverte à différents médiums, avec une prédominance du dessin, où la présence du texte révèle un lien privilégié avec la littérature. De grands ensembles de ses travaux ont été montrés au MCBA à Lausanne, au Mamco à Genève, au musée des Beaux-Arts de Nancy, au Centre culturel suisse à Paris. Son travail a fait l’objet des publications La Symétrie du saule (éditions du Mamco, 2015), Les Salons noirs (Scheidegger & Spiess, 2015) et Vite soyons heureux il le faut je le veux (Jrp|Ringier, 2007). Les dessins créés pour cet ouvrage font partie d’une série intitulée Post Animal Beauty.


Célia Houdart & Alain Huck, Erik Satie, Paris, Éditions de la Philharmonie, coll. « Supersoniques », 2023.

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