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Le violoncelle de Pietro Guarneri de Venise se dévoile

Publié le 15 octobre 2020 — par Jean-Philippe Échard

— Violoncelle Guarneri de Venise - © Jean-Claude Billing

Le Musée de la musique conserve un des très rares violoncelles de Pietro Guarneri. Issu de l’illustre famille de luthiers crémonais, celui-ci avait quitté sa ville d’origine pour s’établir à Venise en 1717. Au terme de la restauration de l’instrument, le restaurateur Balthazar Soulier (Atelier Cels) et le violoncelliste Raphaël Pidoux nous confient leurs impressions.

 

Balthazar Soulier, vous êtes conservateur-restaurateur, spécialiste des instruments du quatuor. Pouvez-vous nous décrire ce dernier projet réalisé avec le Musée de la musique ?

La restauration d’un bien patrimonial public implique, à mon sens, un devoir accru d’excellence et surtout de transparence envers la collectivité. Chaque intervention représente à la fois un défi et une opportunité unique de pouvoir examiner l’instrument en détail et d’acquérir de nouvelles connaissances. Le Musée de la musique est l’un des seuls musées d’instruments au monde qui dispose d’un laboratoire de recherche et de conservateurs spécialisés pour chaque famille d’instruments. Nous avons ainsi la chance de bénéficier du regard de différents spécialistes pour évaluer et décider des traitements les plus appropriés.

Toute restauration génère des transformations irréversibles plus ou moins substantielles. La documentation la plus exhaustive possible, tant des différents états de l’instrument que des traitements réalisés, revêt une importance primordiale.

Pour des raisons budgétaires et économiques, le temps imparti à la documentation est souvent insuffisant. Afin de nous abstraire de telles contraintes, nous avons choisi d’offrir l’intégralité des prestations sous la forme d’un mécénat de compétence à la Philharmonie de Paris.

Quelles interventions avez-vous réalisées, et dans quels buts ?

L’objectif principal de l’intervention était d’optimiser la jouabilité et la sonorité de l’instrument en vue de l’enregistrement des sonates de Beethoven par Raphaël Pidoux. Compte tenu de la configuration actuelle de l’instrument et du répertoire de l’enregistrement, nous avons décidé de réaliser un montage conforme à ceux du 19e siècle et ainsi adapté aux cordes en boyau.

La dernière importante restauration a eu lieu en 1946 ; depuis, le montage n’avait pas été modifié. Les éléments déterminants pour le jeu et la sonorité comme la touche, le chevalet et l’âme étaient devenus déficients (la touche était déformée ; la hauteur des cordes insuffisante ; l’ajustage de l’âme défectueux, etc.). Nous avons préféré remplacer ces éléments plutôt que de les modifier afin de les conserver dans leur état actuel, séparés de l’instrument.

Par ailleurs, à la suite du nettoyage des surfaces encrassées, nous avons recollé les fractures et bords décollés afin de renforcer la stabilité structurelle de l’instrument et empêcher les éventuelles vibrations parasites.

L’autre volet de notre intervention a porté sur la documentation technologique. Nous avons en particulier réalisé de nombreuses photographies de haute définition en lumière visible et ultra-violette permettant de retracer les modifications opérées lors des anciennes restaurations et de constituer une archive de son histoire matérielle.

© B.Soulier / Atelier Cels

Pourriez-vous nous présenter quelques particularités de cet instrument ?

Les violoncelles de Pietro Guarneri de Venise sont excessivement rares : à peine plus d’une dizaine sont aujourd’hui connus. Ils comptent parmi les instruments les plus remarquables de l’histoire de la lutherie italienne. Les instruments de Pietro Guarneri se distinguent notamment par la combinaison tout à fait unique des styles et des principes de construction crémonais et vénitien.

La conception vénitienne du modèle et des voûtes offre une sonorité particulièrement riche et puissante dans toutes les tessitures qui a conquis les plus grands solistes.

Le fond de ce violoncelle est particulièrement spectaculaire. Le modèle, à la fois élégant et puissant, est comme sublimé par l’utilisation de deux pièces d’érable aux ondes exceptionnellement larges et prononcées.

Etiquette au fond du violoncelle Guarneri : Petrus Guarnerius Filius Joseph /  Cremonensis fecit Venetis / Anno 1734
© B.Soulier / Atelier Cels

Raphaël Pidoux, vous allez jouer le violoncelle de Pietro Guarneri tout récemment restauré. Quelles sensations avez-vous ressenties ?

La sonorité de ce Guarneri est très aiguisée, profonde et raffinée. Comme de nombreux instruments de cette époque, il s’adapte merveilleusement aux desiderata des interprètes et compositeurs des générations ultérieures tels que Beethoven, qui recherchaient des instruments qui portent dans des salles toujours plus imposantes. Cela passe par la tension dans les voûtes, la pression sur le chevalet, l’épaisseur des bois, leur qualité... Ce Guarneri possède un son et un coffre singuliers, à l’image des grands acteurs qui ne crient pas sur scène, mais que l’on entend jusqu’au balcon du dernier étage, alors même qu’ils chuchotent. Sa facture ancienne contribue beaucoup à l’entreprise de restitution de certains détails ou intentions propres à la musique de Beethoven.

Votre concert s’inscrit dans le projet du Musée de la musique visant à donner à entendre des instruments anciens emblématiques de la collection. Quel regard portez-vous sur cette démarche ?

Il est toujours frustrant d’aller, comme à l’hôpital, observer un instrument derrière une vitrine, d’autant qu’il est indispensable pour un musicien d’entretenir avec certains d’entre eux une relation intime. Un musée a pour mission de conserver ces objets extrêmement rares pour les générations futures. Remettre ce Guarneri en état de jeu est une idée magnifique et très généreuse. Il faut saluer le pari d’Harmonia Mundi et la démarche du Musée de la musique, qui a braqué l’objectif sur quelques-uns de ses instruments pour y intéresser les artistes et leur redonner une âme. Les jouer présente des risques pour le musicien et pour l’instrument, mais c’est un moment d’expérience et de recherche unique. Les instruments sont farouches, surtout ceux qui ne sont pas souvent joués. Nous sommes là pour les réveiller, les révéler.