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Sir Simon Rattle, so British !

Publié le 19 décembre 2024 — par Bertrand Boissard

— Simon Rattle - © Antoine Benoit-Godet

Faisant fructifier les acquis de Nikolaus Harnoncourt et de Pierre Boulez, le chef britannique agence les œuvres avec bonheur au sein de programmes inventifs. Ainsi en va-t-il de ces deux concerts qui mêlent fleurons de la musique anglaise, créations et incontournables du répertoire.

Se démarquant de la plupart de ses confrères par un goût prononcé pour la musique de son temps et par une sensibilisation particulière aux questions d’éducation et de transmission, Sir Simon Rattle affiche l’un des plus beaux parcours parmi les grands noms actuels de la direction d’orchestre. Après avoir dirigé pendant 18 ans (de 1980 à 1998) l’Orchestre de Birmingham, qu’il a amené à des niveaux inédits, refusant alors de nombreux engagements pour mieux se consacrer à son orchestre et par là même asseoir sa technique, le chef d’orchestre prend la tête en 2002 des Berliner Philharmoniker, succédant à Claudio Abbado. Il y restera pas moins de 16 ans. En septembre 2023, il est nommé directeur musical de l’Orchestre de la radio bavaroise et début 2024 on apprenait sa désignation en tant que principal chef invité du Philharmonique tchèque. Avec le vénérable orchestre, qui connut ses principales heures de gloire sous l’ère Karel Ančerl, le titulaire de la « Rafael Kubelík Chair » se focalisera notamment sur les œuvres de Haydn, Schumann et Elgar ainsi que sur la musique française et tchèque.

— Mark-Anthony Turnage: Remembering — Sir Simon Rattle

Les deux concerts parisiens à la Philharmonie, donnés à quelques jours près (il est né le 19 janvier 1955) de ses 70 ans, mettent principalement en valeur le répertoire anglais. Quoi de mieux pour cette célébration que l’ensemble dont il est le plus proche, ce London Symphony dont il a assuré les fonctions de directeur musical de 2017 à 2023 : « C’est la curiosité et l’enthousiasme de l’orchestre […] que j’ai trouvés exceptionnellement attrayants. Et leur précision rythmique, leur souplesse et leur énergie sont incroyables », confiait-il au Guardian. Toutes qualités indispensables aux partitions de Benjamin, Tippett et Turnage au programme.

— George Benjamin: Lessons in Love and Violence (2017)

Tiré de l’opéra Lessons in Love and Violence de Benjamin, Interludes et Aria, dédié à Sir Simon Rattle à l’occasion de son 70e anniversaire, fait notamment alterner « un nocturne sombre », « une toccata rapide et énergique », « un choral lent et majestueux » (selon les mots du compositeur) et un air central pour soprano avec Barbara Hannigan en soliste. Le programme du second concert a été conçu non moins minutieusement par Rattle, mêlant la création du Concerto pour guitare de Turnage, une pièce « très jazzy et très rythmée », aux Ritual Dances de Tippett, « l’une des grandes partitions britanniques, une pièce virtuose », précise le chef.

Sir Simon Rattle a toujours eu à cœur de défendre la musique britannique. Ainsi, pour son premier concert en tant que chef principal des Berliner Philharmoniker il a dirigé Asyla, du compositeur Thomas Adès : « Je voulais apporter quelque chose de nouveau et d’extraordinaire à Berlin », déclara-t-il plus tard à la BBC. Sa vaste discographie comprend des œuvres célèbres, outre-Manche et au-delà, comme Les Planètes de Holst, Les Illuminations de Britten (créateur dont il a enregistré une grande partie du catalogue), les Variations Enigma d’Elgar mais aussi, entre autres, des pages signées Walton, Vaughan Williams, Adès, Arnold, Knussen, Davies.

— Tippett : The Rose Lake — Sir Simon Rattle & London Symphony Orchestra

Le 14 janvier, il retrouve son complice Krystian Zimerman avec qui il a gravé, en compagnie à nouveau du LSO, l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven. Au menu, le plus méditatif de tous, le plus mystérieux aussi, ce Quatrième qui fait peur à plus d’un grand soliste, tant il se retrouve souvent à nu. Le compositeur allemand reste l’un des jalons essentiels du travail de musicien de Rattle : « Aucun autre compositeur ne demande autant à ses interprètes. Aucun. Beethoven exige de vous plus que tout ce que vous pouvez lui donner. Pas partout, évidemment, mais il peut appeler un type d’énergie, ou de férocité, ou d’intelligence fatalement hors de portée. Vous savez que vous resterez en deçà de ses attentes, que vous échouerez. Mais de mieux en mieux, si tout va bien […] À cet égard, Beethoven ne se compare qu’à Bach. Ils nous placent face à des miroirs qui grossissent immanquablement nos défauts, nos absences, nos trucages. Ainsi Beethoven nous force à être honnêtes », déclarait-il à Diapason. Une leçon de modestie de la part de celui qui s’est indéniablement imposé comme le plus important chef d’orchestre britannique vivant et un beethovénien d’envergure.

Bertrand Boissard

Bertrand Boissard écrit depuis 2010 pour le magazine Diapason. Il est un intervenant régulier de la Tribune des critiques de disques (France Musique).