Dans L'Empire contre-attaque, John Williams élargit sa palette orchestrale et les registres déployés. Il exploite le suraigu pour créer un climat angoissant et souligner les apparitions de créatures malfaisantes. Il crée également des textures orchestrales flottantes qui sont la signature incontournable de la saga.
Afin de recréer une familiarité musicale et un lien organique avec l’épisode précédent, Williams attribue au générique de début la même musique : la marche triomphale exposant le thème de Luke est suivie de textures orchestrales mystérieuses et flottantes aux couleurs harmoniques changeantes au moment où le texte disparaît dans le lointain et où un lent panoramique balaie l’espace. Cette ouverture musicale reviendra à l’identique dans les épisodes subséquents : dès L’Empire contre-attaque, elle prend ainsi la forme d’un marqueur structurel fort, signature incontournable de la saga.
Le compositeur remploie également quatre thèmes issus de l’épisode précédent : les thèmes de Luke, de la Force, la fanfare des rebelles et le thème de Leia. Parfois présenté́ sous une forme mineure, dans un accompagnement dépouillé́ et un tempo lent, le thème de Luke prend une dimension désenchantée : cet assombrissement traduit l’absence de repères du jeune homme après son crash sur Dagobah, son découragement lors de son entraînement de Jedi et son échec à l’épreuve de la grotte maléfique. Il souligne aussi le refus initial de Yoda de former Luke ou encore la défaite imminente des rebelles sur la planète Hoth. Plusieurs nouveaux motifs viennent aussi enrichir le matériau existant et donner une profondeur accrue aux personnages connus (les droïdes R2-D2 et C-3PO par exemple), ou caractériser de nouveaux protagonistes. Il en va ainsi du thème de Yoda, lent, ample et noble, ou du motif grinçant associé au chasseur de primes Boba Fett, concentré dans le registre extrême grave des bassons.
La romance naissante (et compliquée) entre Leia et Han appelait un thème spécifique, tortueux et passionné, construit sur des harmonies complexes et chromatiques, évoquant à la fois le motif de Marion et Indiana Jones composé par Williams pour Les Aventuriers de l’Arche perdue (1981) et la mélodie principale du Concerto pour violon de Tchaïkovski.
Immédiatement identifié comme « romantique », il est proche dans son écriture et son caractère des thèmes d’amour des films de l’âge d’or hollywoodien admirés par le compositeur. À l’image de l’évolution des sentiments de Leia et Han, le thème des amants n’est dévoilé que graduellement au cours de l’épisode. Son énoncé complet, sous la forme d’un climax lyrique, n’intervient que deux fois, à des tournants dramatiques et narratifs : il accompagne leur premier baiser puis les derniers plans du film, affirmant la résolution de Luke et de Leia de sauver Han des griffes du criminel Jabba.
Mais le nouveau thème le plus marquant est sans doute la Marche impériale, associée à Dark Vador, aux forces impériales et au côté obscur, qui domine d’ailleurs la partition par sa trentaine d’énoncés. Par le dépouillement de son matériau fondé sur la répétition, la prééminence des cuivres et des percussions et par ses effets de brouillage harmonique, la Marche impériale possède une dimension militaire et mécanique oppressante. Elle met en valeur la froideur et le caractère implacable de l’Empire lors de son premier énoncé, accompagnant l’impressionnant déploiement de la flotte impériale en orbite. Lorsqu’elle intervient sur des plans relatifs à Vador, la Marche impériale contribue à étoffer considérablement le rôle et l’aura maléfique du seigneur Sith qui s’apparente, à partir de cet épisode, à une figure tragique maintenue en vie artificiellement par le dévoilement de sa chair meurtrie, et par la révélation de son lien de parenté avec Luke.
Williams élargit dans ce film sa palette orchestrale et les registres déployés, exploitant notamment la stridence du suraigu pour créer un climat angoissant et souligner les apparitions soudaines de créatures malfaisantes à l’écran (Mynocks dans le champ d’astéroïdes, reptiles dans la « grotte du Mal » sur Dagobah). Il combine les timbres transparents dans des effets mystérieux et surnaturels : lorsque Luke a une vision de ses amis prisonniers à Bespin, le vibraphone, le glockenspiel, le thérémine, le piano, le célesta et les harmoniques de violons sont superposés dans l’extrême aigu. Ils renforcent le caractère magique de la « cité dans les nuages » tout en maintenant une tension par des harmonies dissonantes qui soulignent la souffrance de Han et Leia. Au début du film, la bataille de Hoth se distingue par son orchestration inhabituelle mobilisant 5 piccolos, 5 hautbois, 8 percussions, 3 pianos et 3 harpes en plus du grand orchestre ; le traitement massif des cuivres, les interventions « bruitistes » des pianos et du xylophone donnent lieu à des sonorités étranges et brutales. Le compositeur introduit aussi la voix : quand le Faucon Millenium arrive à Bespin baigné par les rayons orangés du soleil couchant, Williams fait appel à un chœur féminin sans paroles utilisé comme un timbre de l’orchestre à la manière des Sirènes de Debussy, rehaussant l’aspect féerique des plans.
Avec L’Empire contre-attaque, Williams opère selon ses propres termes « une révision partielle du premier épisode avec l’enrichissement du second », faisant écho au souffle opératique et sombre du scénario de Lawrence Kasdan et de la mise en scène confiée à Irvin Kershner ; les jalons sont ainsi posés pour les dénouements portés par l’épisode VI.