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Saison 4 - Épisode 4 - Petite Rhoda deviendra grande

Publié le 25 octobre 2023 — par Brigitte Blaise

L’histoire que je vais vous raconter est celle d’une grande dame, Rhoda Scott. Rhoda, ça veut dire rose, et des roses il y en a de toutes les couleurs, comme dans sa famille.

Conte-moi la musique est une série de podcasts pour les 3-8 ans.

Avec Conte-moi la musique, retrouvez des histoires fabuleuses, drôles et poétiques, imaginées à partir des instruments du Musée de la musique.

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Le papa de Rhoda a une belle peau noire, sa maman une belle peau blanche. Elle, elle est entre les deux et chante avec eux deux. Quand Rhoda est petite, elle habite en Amérique du Nord, le métier de son papa est de parler pour les gens dans les églises. Sa maman accompagne les chants en jouant du piano. Celle-ci prend souvent Rhoda sur ses genoux et elle se balance, saute au gré de la musique. Bientôt elle peut avec un seul doigt rejouer toutes les chansons qui résonnent dans sa tête, des heures durant.

— Elle est douée, disent ses parents, et quelle mémoire, il faut qu’elle prenne des cours !

Un jour son père l’emmène dans une église où il y a un drôle d’instrument : il ressemble à un piano mais il a deux claviers, même un troisième en bas, pour les pieds, avec de grande lames en bois, Rhoda en fait le tour et pendant que son père parle pour les gens dans l’église, elle s’assoit, pose ses deux mains sur les claviers, l’un plus haut que l’autre. Tiens, des boutons… Elle s’amuse à tirer, pousser, mais pas de son ! Ce qui l’intrigue le plus, c’est le clavier pour les pieds .. Hélas, elle est trop petite, elle descend  et joue les grandes touches avec ses mains.

— C’est pour les pieds, pas pour les mains, lui dit son père dont la voix résonne et la fait sursauter.

Il vient lui montrer, appuie sur un bouton.

— Ah, il fallait l’allumer, cet instrument ?

Elle recule d’un bond, se bouche les oreilles, la musique envahit toute l’église, elle regarde médusée les chaussures bouger sur le pédalier.

Quelque temps après, en pleine nuit, Rhoda se met à chanter très fort en se remuant de tous les côtés, ses parents se précipitent dans la chambre.

— Elle a dû faire un cauchemar.
— Non, regarde, si elle chante ce n’est pas un cauchemar.

Ils s’approchent et, la voyant bouger ses pieds et ses mains, son père dit :
— Je sais, elle joue de l’orgue Hammond mais comme elle n’est pas assez grande pour en jouer, elle rêve.
— C’est quoi, l’orgue Hammond ?
— Tu veux vraiment savoir ?
— C’est un orgue à roue phonique avec 91 pignons entraînés par un moteur électrique alternatif qui cale sa vitesse de rotation sur la fréquence du courant et tourne dans un champ magnétique émis par un aimant puis une bobine centrée sur chaque aimant qui capte le champ magnétique conduit par les roues constituées par un matériau magnétique…
— Je n’ai rien compris ! Ce n’est pas un instrument, ça, c’est une machine infernale ! Pas étonnant que notre fille gigote comme ça dans tous les sens…

Son père et sa mère se regardent stupéfaits en haussant les épaule et se retirent doucement.

Le temps passe, mais pas assez vite pour Rhoda. Tous les jours elle demande à ses frères et sœurs de tirer sur ses jambes :
— Mais pourquoi tu veux tellement jouer de cet instrument, Rhoda ?
— Il fait une musique qui peut annoncer l’entrée du roi, faire taire tout le monde immédiatement et battre les cœurs, on est tout seul à tout faire, on a tous les pouvoirs !

Rhoda travaille son piano en attendant de grandir. Elle s’entraîne souvent, monte sur le tabouret de l’orgue, promène ses doigts sur les deux claviers mais… encore trop petite pour le pédalier ! Lorsqu’un jour, elle retire ses chaussures,
— D’abord on ne joue pas du piano avec des gants…

Elle s’assoit un peu sur le bord du tabouret et avec la pointe des orteils touche les grandes lames en bois. Victoire !! Une main sur le clavier du haut, l’autre sur celui du bas. Les pieds sur le pédalier. Chacun a son piano ? On y va !

Un son énorme remplit l’église, saisie par ce qu’elle vient de provoquer, elle reste coincée sur le pédalier, comme prisonnière de la note qui dure, dure, ses mains s’élancent, des noires aux blanches, elle joue ses airs préférés, son pied gauche s’amuse à marcher d’une note à l’autre... le pied droit sur la pédale qui fait plus ou moins fort.

Tout en jouant, elle actionne les tirettes comme on mélange des couleurs et les sélectionne comme avec un pinceau, un orchestre à elle toute seule. Elle gigote comme sur les genoux de sa mère, à moitié debout, prête à s’envoler comme un papillon. La voilà déjà sur toutes les scènes du monde - on l’applaudit - et voit plein de gens qu’elle fait chanter avec ses mains, ses pieds, ils sont joyeux et dansent, dansent…

Rhoda ferme les yeux, garde juste une note sous son pied puis, soudain, lâche tout et le silence lui attrape le cœur :
— Que le Roi fasse son entrée !

Très fort, comme s’il y avait plein de monde elle se met à parler et chante comme son père, pour que le monde entier entende son cœur.

— Le loup habitera avec l’agneau et la panthère se couchera avec le chevreau, le veau, le lionceau et un petit enfant les conduira, la vache et l’ourse habiteront avec leurs petits et le lion, comme le bœuf, mangera de la paille, les enfants joueront avec les serpents, plus personne ne se fera du mal.

Et petite Rhoda est devenue grande, très grande, Rhoda Scott, la dame aux pieds nus qui continue aujourd’hui de chanter en riant.

Brigitte Blaise
  • Conteuse : Brigitte Blaise
  • Orgue Hammond : Richard Poher
  • Musique : Improvisations, Richard Poher