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Les Clés du classique #57 – Le Quatuor « La Jeune Fille et la Mort » de Schubert

Publié le 11 décembre 2025 — par Charlotte Landru-Chandès

Quand il écrit le Quatuor « La Jeune Fille et la Mort », Schubert est malade et se sait condamné, d’où la sombre tonalité de mineur, qui incarne régulièrement la mort dans son œuvre.

La série Les Clés du classique vous fait découvrir les grandes œuvres du répertoire musical.

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Les extraits du Quatuor « La Jeune Fille et la Mort » sont interprétés par le Quatuor Van Kuijk. Concert enregistré le 13 janvier 2018.

Retrouvez le concert sur Philharmonie à la demande.


S’il y a bien deux domaines dans lesquels Schubert excelle, ce sont le lied et la musique de chambre. Il les réunit dans son célèbre Quatuor n° 14, dit « La Jeune Fille et la Mort ». Schubert y reprend et y développe un lied du même nom composé sept ans plus tôt, en 1817.

Au début du XIXe siècle, Schubert écrit plus de six cents lieder, dont des cycles célèbres comme La Belle meunière ou Voyage d’hiver. Il est le premier compositeur à écrire autant pour ce genre. Il ouvre ainsi la voie à plusieurs musiciens qui se réapproprieront ce genre un peu plus tard : Robert Schumann, Johannes Brahms, Hugo Wolf, Richard Strauss ou encore Gustav Mahler.

En 1817, Schubert écrit un lied assez court intitulé Der Tod und das Mädchen (« La Jeune Fille et la Mort »), sur un poème de Matthias Claudius. Une jeune fille dialogue avec la Mort. Effrayée, elle la repousse de toutes ses forces. La Mort, elle, se montre rassurante :

« Donne-moi ta main, belle et délicate ! [lui dit la Mort]
Je suis ton ami, et je ne viens pas te punir.
Sois de bonne humeur ! Je ne suis pas sauvage.
Tu trouveras un doux repos dans mes bras ! »

Ce lied sera réutilisé par Schubert dans le deuxième mouvement de son Quatuor n° 14, et lui donnera son titre.

Schubert entreprend la composition du Quatuor en mars 1824, à Vienne. Les dernières années ont été difficiles… Il a commencé plusieurs œuvres sans parvenir à les terminer, notamment la Symphonie n° 8 en 1822. Autre déception : son opéra Alfonso und Estrella n’est, contre toute attente, jamais représenté de son vivant. Refusé à Vienne et à Dresde, il laisse Schubert dans une profonde désillusion.

Ce dernier se tourne alors presque exclusivement vers les formes intimes, lieder et musique de chambre. Son style change, ses œuvres se font plus complexes. Pendant l’hiver 1824, il compose coup sur coup l’Octuor en fa majeur, le Quatuor n° 13 en la mineur « Rosamunde » et le Quatuor en ré mineur « La Jeune Fille et la Mort », deux quatuors miroirs des tourments de leur auteur, à propos desquels il disait vouloir se « frayer la voie vers la symphonie ». Ces partitions frappent en effet par leur densité et leur intensité. Quand il écrit La Jeune Fille et la Mort, Schubert est malade et se sait condamné, d’où la sombre tonalité de mineur, qui incarne régulièrement la Mort dans son œuvre, et que l’on retrouve par exemple dans le lied Fahrt zum Hades (« Voyage vers Hadès »).

Le premier mouvement du Quatuor se caractérise par une forme d’urgence dès les premières notes, lancées comme un cri de désespoir. Il reflète le drame psychologique qui se joue pour le personnage principal, la jeune fille, et par extension peut-être pour le compositeur.

Le deuxième mouvement, issu du lied de 1817, se caractérise par sa morosité. C’est une page brumeuse et mélancolique. Elle reprend le moment où la Mort s’exprime, sous la forme d’un thème, de cinq variations et d’une coda. Une sorte de psalmodie où la Mort tente d’apaiser l’effroi de la jeune fille.

Vient ensuite le Scherzo, où l’urgence est à nouveau à son comble. Les instruments y jouent d’un même bloc, ce qui contraste avec les mouvements précédents.

L’œuvre s’achève par un Presto qui prend la forme d’une tarentelle exaltée, tantôt sombre, tantôt joueuse, aux accents populaires et funèbres, dont le caractère varie constamment.

Le Quatuor en ré mineur est donné en création privée le 1er février 1826, au domicile du chanteur Joseph Barth. Il ne parvient pourtant pas à conquérir le public de l’époque. L’œuvre est sans doute jugée trop moderne, trop ambitieuse et un peu déconcertante…

La partition ne sera publiée qu’au début des années 1830, par le pianiste, éditeur et compositeur Joseph Czerny, après la mort de Schubert en 1828.

Presque un siècle plus tard, Gustav Mahler, également familier de l’univers du lied, ressortira La Jeune Fille et la Mort de l’oubli et la transcrira pour petit orchestre à cordes. Rien d’étonnant quand on sait que l’œuvre de Mahler est elle-même imprégnée d’angoisses existentielles et teintée de sombres couleurs. Son arrangement permettra de donner une nouvelle ampleur à La Jeune fille et la Mort.

Charlotte Landru-Chandès

Charlotte Landru-Chandès  collabore à France Musique, La Lettre du Musicien et Classica. Elle conçoit des podcasts pour l'Opéra national de Paris et la Philharmonie de Paris.

  • Un podcast de Charlotte Landru-Chandès
  • Réalisé par Taïssia Froidure
  • © Cité de la musique – Philharmonie de Paris