À travers le récit illustré de la vie tumultueuse des grandes divas du XXe siècle, Lamia Ziadé entrouvre les portes de la vie nocturne du monde arabe. Cabarets, robes à paillettes, cinémas et grands hôtels, sur couleurs pop.
Ô nuit ô mes yeux (P.O.L., 2015) est une traversée du Proche-Orient arabe. C’est aussi une traversée du grand XXe siècle. Embarquée dans une enquête prodigieuse sur les traces de la chanteuse Asmahan (Amal El Atrache), Lamia Ziadé ne sait plus s’arrêter. Oum Kalthoum, Fairouz, mais aussi Leïla Mourad, Rose El Youssef, Farid El Atrache, le roi Farouk, Samia Gamal... Les personnages s’accumulent, se croisent au rythme de l'histoire coloniale, des guerres, des deuils nationaux.
Le Caire et Beyrouth sont les deux places fortes de cette vie sous les projecteurs. Damas, Jérusalem, Alexandrie ou les bords du Nil forment les étapes du voyage, illustré de plus de 400 dessins à la gouache qui glissent des couleurs vives de la jeunesse, aux couleurs ocres du déclin, dans les dernières pages.
Lamia Ziadé l’avoue sans hésiter : elle n’a pas fait le choix de s’intéresser aux figures féminines du « star system » arabe des années 1950 parce qu’elles étaient des femmes, celles-ci ont imposé leur liberté romanesque, leurs sulfureuses aventures au paysage qu’elle brossait. Il s’agit d’ailleurs d'un paysage culturel plus que d’un paysage musical. De même, elle n’a pas fait le choix d’effacer les traits de ses personnages au fil des dessins, celui-ci s’est imposé, parfois, par prudence ou par délicatesse.
Car l’enquête sur ces figures disparues du monde arabe est historique, mémorielle, mais elle est aussi visuelle : arrêts sur image sur des scènes de film, collecte d'archives, d'affiches, de portraits chinés, de pochettes de disques... Une grande brocante, où se devine cette mélancolie qui habite les nuits arabes, derrière l'effervescence des cabarets, l’éclat des robes à paillettes, les volutes des cigarettes.
Le travail de Lamia Ziadé est présenté au sein de l'exposition Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe | 6 avril-19 août 2018, espace d'exposition - Philharmonie